Propos sur les pouvoirs
7.6
Propos sur les pouvoirs

livre de Alain (1925)

Comment sortir de son immaturité politique

immaturité : état de ce qui n’est pas mûr (Larousse).


Pourquoi aborder la critique de ce livre à partir de cette idée d’immaturité ? Parce qu’Alain plonge en plein dans cette problématique à mon sens. La période de l’enfance et de l’adolescence est marquée par des réflexions bêtes, car le futur adulte n’a pas encore eu le contact avec le réel nécessaire pour pouvoir distinguer ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. L’adulte est supposément sorti des naïvetés de l’enfance, car il a conscience de ses limites. Or nous, les citoyens lambdas restons des enfants politiques toute notre vie, car nous n’exerçons jamais la réalité du pouvoir, de sa pratique et de ses limites. Nous n’en connaissons pas l’odeur, la saveur, les limites et les codes. C’est ce que propose Alain dans ce livre lorsqu’il décide d’aborder le politique d’une manière très originale : du point de vue du politicien.


Qu’est-ce qu’être un politicien ? Comment se construit cette psyché ? Comment pensent les politiciens ? Et surtout, comment penserions-nous si nous étions à leurs places ?

Alain rappelle que le politicien est toujours pris dans un mouvement paradoxal entre d’un côté le public qui nous méprise et nos collaborateurs qui au contraire nous louent. Faire de la politique est assez proche que de faire de l’art ; parce que dans les deux cas, nous essuyions sans cesse les foudres de la critique. Pau importe ce que l’on fait ou ce que l’on fera, on sera détesté. Si l’on de droite, alors on nous attaque, car nous créons des inégalités. Tandis que si l’on est de gauche, alors on nous reprochera de ne pas être sincère et on nous encouragerait presque de trahir nos sympathisants. En revanche, le politicien est aussi isolé intellectuellement, car entourés uniquement de ses sympathisants ou de ses flatteurs. A force, le politicien voit grandir en lui une conviction que nous partageons tous : celle que nous sommes meilleurs que les autres, qu’on a raison et qu’ils ont tort. Ainsi aussi bonnes que nos intentions soient, le pouvoirs structurellement nous corrompt.

Alain prend l’exemple de deux médecins qui chercheraient à soigner les malades avec une sincère bonté. Pourtant une fois à la tête d’un hôpital, leurs positions de commandement et le pouvoir de choisir à un tel ou un tel un poste excite leurs fiertés. A la fin, ils ne s’entourent que de médecins. Ce qui biaise fortement leurs jugements voire les pousser en logique d’intérêt personnel que général.


Là est le génie du livre. Alain nous renvoie frontalement à notre propre médiocrité. L’homme est coupable dès la naissance, car il porte en lui le poids d’un pêché : l’orgueil de se croire au-dessus de la mêlé. Que ce soit l’ouvrier syndicaliste ou le patron capitaliste, nous voulons tous au plus profond de nous le pouvoir pour nous et rien que pour nous. Le commandement agit comme une drogue. Plus nous en prenons, plus nous en voulons et moins, nous pouvons nous en passer.

L’homme a cette tendance naturelle de se considérer comme le bon face au méchant. Alain évoque le patron enfermé dans son bureau par des grévistes luttant pour leurs droits et qui pourtant, se convaincra d’être la victime des méchants travailleurs. Le constat d’Alain est sans appel : Tous pourris ! Pas seulement les politiciens mais nous tous et sans aucune exception.


Pour se remettre dans le contexte, Alain pense à une période où la démocratie bourgeoise s’impose comme la droite. Mais au même moment, des partis de gauche les contestant apparaissent au nom de l’égalité et du mouvement ouvrier. Néanmoins, ces partis deviennent déjà des partis de cadres, de professionnels de la politique excluant de facto les ouvriers comme les mencheviks ou bolcheviks. Aujourd’hui, les résultats sont connus. Donc déjà dès les années 1900-1910, le modèle de la démocratie bourgeoise, des syndicats et des partis politiques ont atteint leurs limites, parce que tout est basé sur une élection compétitive qui excite les plus bas instincts voire encourage la surenchère ainsi que la professionnalisation de la politique. Exclu, le peuple souvent évoqué par Alain perd fois en nos politiciens et avec ses analyses, nous, les lecteurs perdons fois en la politique.

Personnellement, j’ai vraiment ressenti cette lecture comme un coup de poing dans mes convictions, malgré le ton railleur de l’auteur jusqu’à ce qu’il propose sa solution.

Alain déclare être le seul vrai anarchiste, car il refuse contrairement à ses camarades de gauche de rechercher le pouvoir. Attention, l’action politique ne doit pas être abandonnée. Cependant, Alain affirme que la démocratie devrait organiser autour d’un tel nombre de contre-pouvoirs qu’aucun groupe ne pourrait s’en arroger le monopole. Alain définit sa ligne comme celle de la «gauche radicale », c’est-à-dire celle du peuple qui contrôle la politique, car personne n’en a le contrôle.


Nous en revenons alors à notre réflexion du début. Alain nous sort à la fois de notre immaturité citoyenne, car incite à une démocratie avec des élections ouvertes à tous et en parallèle, de l’immaturité des politiciens qui à force de pratique du pouvoir se persuadent de leur supériorité. La philosophie politique aussi élevée se lit avec un grand plaisir, car nous prenons plaisir au style, à l’originalité des idées ainsi que de leur pertinence. Que nous soyons de droite ou de gauche, il est difficile de ne pas tomber d’accord avec ces idées. Ce consensus est la marque des grandes analyses.


A cela, j’ajouterai deux réflexions du livre qui m’ont marquées par leur pertinence :

  • Lorsque quelqu’un m’explique qu’il n’est ni de gauche ni de droite, je sais qu’il est de droite.
  • Les religions dans le passé avaient la même importance que les partis politiques aujourd’hui.
okaidac
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le 25 juil. 2024

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