Punir
7.7
Punir

livre de Didier Fassin ()

Juriste de formation et de profession, pénaliste de passion, l'annonce de la publication du livre de Didier Fassin, Punir une Passion Contemporaine, m'a rendu toute chose (bien plus que la sortie d'un énième 50 nuances de Gray... une autre forme de masochisme en somme). Je me suis donc jetée sur cet ouvrage que je vous invite à ajouter à votre PAL, s'il n'y est pas déjà.


L'auteur introduit son ouvrage sur un constat : celui de l'inflation législative et de l'extension continue du domaine pénal. De plus en plus de comportements sont punis, car nos sociétés admettent de moins en moins de désagréments. Il constate également qu'à l'extension du domaine de la répression se joint l'alourdissement de la sanction. Avec des chiffres, M. Fassin nous montre que contrairement à ce que prétendent certains discours politiques, les sanctions pénales sont plus sévères, la prison plus souvent ordonnée. Et de voir le serpent se mordre la queue en affirmant :



« Le châtiment est devenu le problème. […] Censé protéger la société
du crime, le châtiment apparaît de plus en plus comme ce qui la
menace ».



Mais d'où nous vient cette obsession de la punition ?


Pour apporter une réponse, l'auteur découpe son ouvrage en trois questionnements : qu'est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ? Didier Fassin est anthropologue-sociologue, il se base sur ses observations. Et c'est en partant d'exemples concrets qu'il déroule son argumentation. Cette méthode rend le livre parfaitement accessible pour tout un chacun. La lecture en est simple, plutôt rapide et totalement passionnante pour qui s'intéresse un peu au sujet.


Se détachant du lexique juridique et dépassant les notions d'infraction et de peine, M. Fassin met en lumière les multiples modes de punition, dont beaucoup ne relèvent pas de la loi. À la notion de peine, il préfère celle de châtiment, dont il ne garde de sa définition que la souffrance que celui-ci entraine. Par des exemples concrets, Didier Fassin nous promène dans sa réflexion pour nous permettre de dépasser notre définition étroite du châtiment comme sanction légitime.


Il interroge notre soif de punition, loin d'être exempte d'une volonté de vengeance dont elle est censée avoir était expurgée lorsque l’État s'est arrogé le monopole de la violence légitime. Punition encore, qui peut se justifier, non par la culpabilité de la personne, mais par la nécessité de préserver un ordre social établi, par exemple en détention ou dans les quartiers populaires.



« L’affirmation souvent entendue dans la bouche des policiers qu’ils
ne font qu’appliquer la loi lorsqu’ils interviennent dans les
quartiers populaires doit ainsi être mise en perspective avec la
fonction qui leur est attribuée de rappel à l’ordre social des classes
réputées dangereuses. »



Même sous cette forme illégitime, la punition est parfaitement admise par notre société, pour ne pas dire souhaitée. On trouve même de la part de chaque citoyen une forme de jouissance dans la punition, lorsqu'elle se déroule sous leurs yeux, dans des documentaires ou émissions de télé-réalité.
Enfin, Didier Fassin nous rappelle, car il est impossible de l'ignorer, l'inégale application du châtiment selon le milieu social de celui à qui il est infligé. La concentration du châtiment sur les classes populaires se fait tant par la sévérité des sanctions qui leur sont infligées que par la pénalisation de comportements qui leur sont propres.



« La distribution des châtiments contribue ainsi à aggraver et
perpétuer les disparités sociales en affectant de façon
disproportionnée les segments les plus défavorisés, dont les
conditions actuelles sont souvent héritées de circonstances
historiques singulières, telles que l'esclavage, la colonisation ou
l'immigration. »



Finalement, grâce à une argumentation claire et convaincante, Dider Fassin nous pousse à interroger notre pratique du châtiment. Parmi les grandes qualités de l'ouvrage, on relèvera quelques comparaisons avec d'autres pays européens et américains, mais aussi d'autres cultures. On regrette même que ces études comparées ne soient pas plus nombreuses. Et c'est finalement notre seul regret lorsque nous fermons le livre : on en voudrait plus.


Quoi qu'il en soit, l'auteur atteint son objectif de questionnement du châtiment. Il vient mettre en lumière toutes les dimensions de la punition que nous cherchons à ignorer pour ne pas en fragiliser la légitimité. Pourtant, prendre en compte les zones d'ombres du châtiment, pour en faire évoluer notre pratique permettrait au contraire de lui apporter une légitimité plus grande. Ainsi, il est temps qu'au « tout répressif » se substitut une véritable réflexion sur la punition afin qu'elle retrouve son objectif premier : « la restauration d'un ordre social juste, que le fait incriminé avait menacée ».

Felin-Sceptique
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Essais et documents

Créée

le 8 juin 2018

Critique lue 200 fois

1 j'aime

Felin-Sceptique

Écrit par

Critique lue 200 fois

1

Du même critique

L'Art de perdre
Felin-Sceptique
8

JF cherche récit familial

L’art de perdre retrace l’histoire de trois générations d’une famille originaire de Kabylie traversée par l’indépendance et le déracinement. Tout commence avec Ali, le grand-père. Il a eu du bol le...

le 25 avr. 2019

3 j'aime

Ruby
Felin-Sceptique
9

Sublime Ruby

Au bord du lac Marion, à Liberty Township, Texas, Ephram Jennings, fils d'un Pasteur et d'une mère internée, élevé par sa sœur, fait la connaissance de Ruby Bell, fillette sans père et dont la mère...

le 28 mars 2018

3 j'aime

L'Hibiscus pourpre
Felin-Sceptique
7

L'éclosion de Kambili

L'hibiscus pourpre est l'histoire de Kambili, jeune fille introvertie, vivant avec son père, sa mère et son frère au Nigéria. Partagée entre une sincère admiration pour son père et la crainte que...

le 7 févr. 2018

3 j'aime

3