Roman mal aimé de Faulkner, Pylône est une curieuse transposition d'un roman de chevalerie à l'époque moderne.
Schumann est un chevalier du ciel, pilote d'avion il parcourt l'Amérique pour assister à des congrès aéronautiques et gagne sa vie en participant à des courses. Il est accompagné de Jiggs, son mécanicien - ou si l'on veut son écuyer - et de Jack, un parachutiste qui effectue des sauts acrobatiques. Il y aussi Lavergne, la femme de Schumman ( bien que l'on ne sache pas exactement avec qui elle couche) ainsi que son fils ( dont on ne connaît pas exactement le père. )
L'existence de ses personnages est extrêmement précaire, ils vivent au jour le jour et, tels ces chevaliers pauvres qui n'avaient pas les moyens de se payer une armure, ils doivent se contenter d'emprunter les avions qui leur permettront de gagner leur vie.
Lors d'un congrès dans une ville qui ressemble à la Nouvelle-Orléans, ces cinq là vont faire la connaissance d'un reporter qui va s'attacher à eux, fasciné tout autant par leur mode de vie aventureux que par la chevelure de paille et l'allure de garçonne de Lavergne.
J'ai dit que Pylône était mal-aimé, certains disent qu'il est le moins Faulknerien de tout les romans de Faulkner, pour ma part il s'agit simplement d'un de mes préférés. Je l'ai relu plus de fois que tout les autres réunis.
( A ce propos à la relecture on s'aperçoit à quel point les romans de Faulkner sont construits avec rigueur. Malgré le lyrisme excessif, la confusion extrême, AUCUN élément n'est laissé au hasard. On a souvent discuté des moyens utilisés par Faulkner pour perdre le lecteur, mais il faut aussi mettre en balance tout les moyens utilisés pour ne pas lui faire perdre pied. Dans Pylône, CHAQUE bouleversement de la chronologie est suivi par une discussion où les évènements déconstruits sont relatés une seconde fois, voir une troisième pour être sûr qu'on a bien compris. Ce systématisme est la grande force et peut-être la petite faiblesse de l'auteur.)
Pourquoi est-ce que j'aime autant Pylône ? Parce que les phrases de Faulkner y sont amples et merveilleuses (même en traduction, chapeau aux traducteurs), précises et déstabilisantes à la fois. Les descriptions sont nombreuses, détaillées et imposantes mais elles ne sont jamais statiques. Au contraire, chacune des phrase descriptives et à rallonge est emportée par un mouvement irrésistible, un rythme haletant qui en met plein la vue. La surcharge d'information n'est jamais synonyme de lourdeur, elle évoque plutôt un paysage traversé à toute vitesse en automobile, ou encore le passage dans la rue d'un défilé mouvementé lors d'une fête apocalyptique ( d'ailleurs le roman se déroule pendant le carnaval ).
Repérez les occurrences nombreuses de serpentins tourbillonnant dans le vent, les descriptions quasi-obsessionnelles du reporter comme un être sur le point de s'envoler, presque trop fragile et éthéré pour exister, à tel point qu'une des vannes récurrentes chez ceux qui le rencontrent est de se demander si les portes du cimetière ont bien été refermée la nuit précédente.
Repérez aussi ces avions qui se démantibulent en plein ciel, cette attention toute particulière portée aux senteurs ainsi qu'aux sons et aux lumières, tout deux soumis aux effets de la diffraction.
Faulkner nous montre dans ce roman que la modernité est bien d'avantage une affaire d'essence(s) que de béton. Elle est volatile et risque à tout moment d'exploser.
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