Fraîchement diplômé de la Guilde des Assassins, Teppic s’apprête à débuter une carrière dédiée à l’inhumation, comme on dit dans sa profession. Mais, le jeune homme se distingue de ses camarades étudiants par ses origines. À vrai dire, il se distingue même du commun des mortels, appartenant à une lignée royale briguant l’immortalité. Teppic est en effet le fils d’un dieu, autrement dit l’héritier du pharaon régnant sur le petit royaume de Jolhimôme (aka Djelibeybi chez les Anglois, la traduction en français me rappelant trop la momification avancée de Léo Ferré).
Bref, pour faire face aux dettes abyssales de son père Teppicymon XXVII, il a quitté sa terre natale pour rallier Ankh-Morpok afin d’y apprendre un métier. Pourquoi pas assassin ? L’épreuve finale, valant pour validation des acquis et compétences létales, révèle hélas son inadaptation pour la profession. Heureusement, elle ne débouche pas sur un échec dont son immortalité future aurait eu bien du mal à se remettre. Teppic n’a toutefois pas le temps de fêter trop longuement son diplôme. Le voilà rappelé chez lui où son pharaon de père vient de trépasser. Pas sûr de se réjouir de cette nouvelle, il doit tout abandonner, camarades de classe, perspectives de carrière, jeunes femmes accortes et plomberie, pour le confort sommaire de la pierre et du désert, pour les crocodiles sacrés, les pyramides et les privilèges d’une fonction royale placée sous la coupe du grand prêtre Dios.
Avec Pyramides, Terry Pratchett penche sans vergogne du côté de la parodie, nous gratifiant d’une réécriture par l’absurde de l’Histoire et des légendes des peuples du bassin méditerranéen. Dans une version décalée de l’Égypte antique, où le pharaon règne à la sueur du front de ses esclaves, sous la houlette d’un clergé oscillant entre omnipotence et ventripotence, l’auteur britannique multiplie les jeux de mots, les situations cocasses, jonglant avec les concepts de la physique quantique et de l’immortalité. Terry Pratchett met aussi sur la sellette la foi et les croyances religieuses, opposant la tradition, incarnée ici par le grand prêtre Dios, au progrès rapporté de l’extérieur par un Teppic ouvert à la modernité et au changement.
« Ce fut à peu près à cet instant que le plus grand mathématiciens
du Disque, couché dans la flatulence douillette de sa stalle sous le
palais, cessa de ruminer et s’aperçut qu’il se passait quelque chose
d’anormal avec les nombres. Avec tous les nombres. »
J’avoue m’être beaucoup amusé en lisant ce septième volet des « Annales du Disque-Monde ». La faute à une intrigue délirante et maîtrisée jusqu’au bout. La faute aussi à un personnage principal sympathique qui ne connaîtra pas, hélas, d’autres incarnations. La faute enfin au nonsense habituel de l’auteur, mais également à un foisonnement de personnages secondaires mémorables. Terry Pratchett se montre en effet sur ce point très inventif, accumulant les trouvailles. De Sale-Bête, le chameau roulant sa bosse des mathématiques dans les dunes, à Dios, le grand prêtre passablement rigide, en passant par Ptorothée, la concubine royale rebelle, sans oublier un maître embaumeur et son apprenti, et la famille de Ptaclusp, bâtisseurs de pyramides de père en fils (bis), on comprend que les choses ne demandent qu’à déraper pour le meilleur et pour le rire. Ajoutons à cela, un voisinage composé de deux puissances belliqueuses ayant envie de rejouer la guerre de Tsort avec son cheval de bois (ou peut-être était-ce une vache ? Un cochon ? Ou alors un poulet ?). Une poignée de grands esprits réunis en symposium pour discourir de la République idéale (un spectacle pas cirrhose que ça). Un sphinx confronté aux failles logiques de son énigme, Et pour terminer, une multitude de dieux plus vrais que (sur)nature, libérés de leurs obligations cultuelles à l’occasion d’une modification localisée de la réalité consensuelle. Bref, Terry Pratchett donne du grain à moudre à nos zygomatiques.
Mais surtout, il nous révèle enfin LE secret des pyramides. Une arcane dont la révélation ferait passer le paradoxe du chat de Schrödinger pour une charade enfantine, si elle n’impliquait pas des équations ésotériques et supra-irrationnelles.
« Il n’y a rien de mystérieux dans le pouvoir des pyramides. Les
pyramides sont des barrages dans le cours du temps. Si la grande masse
de pierre est correctement conçues et orientée, correctement bâtie aux
bonnes mesures paracosmiques, son potentiel temporel peut être
détourné pour accélérer ou renverser le temps à l’intérieur d’un
espace restreint, de la même façon qu’on fait pomper de l’eau à un
bélier hydraulique contre le courant. Les premiers bâtisseurs,
évidemment vieux et sages, connaissaient parfaitement cette
particularité, et le but dans une pyramide correctement construite,
c’était d’obtenir un temps absolument nul dans la chambre centrale
afin que le roi défunt vive bel et bien éternellement – ou du moins ne
meure jamais vraiment. Le temps qui aurait dû passer dans la chambre
s’emmagasinait dans l’ensemble de la pyramide, et on le laissait se
décharger dans un embrasement toutes les vingt-quatre heures. »
Au final, après Trois Sœurcières, je ne ne cache pas une nouvelle fois mon enthousiasme pour l’auteur britannique. Du coup, je suis impatient de lire ce qu’il me réserve avec le huitième volet de ses annales. Bientôt…
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