Nehuda et Ennis, deux comparses de toujours, errent dans un monde où l'apparence est reine et doit être parfaite à tout instant. Toute personne dont le physique ne correspond pas aux canons de beauté prescrits par cette société (pas si) futuriste se retrouve immédiatement mise à l'écart d'une manière ou d'une autre. Nehuda et Ennis, eux, peinant à trouver leur place dans un tel monde, n'auront pourtant de cesse de contester ces nouvelles "lois" sociétales à chaque moment de leur vie. Celles et ceux considérés officiellement comme moches ou difformes les attirent à tout point de vue, sexuellement en particulier.
Ce récit de deux personnages errants, mus uniquement par leurs désirs, s'avère être très touchant, malgré son côté punk manifeste. Un peu comme s'il s'agissait du revers d'une même médaille, en somme. Les auteurs ont beaucoup d'empathie pour leurs personnages principaux, cela se sent et on apprécie grandement cette démarche. Cette histoire rappelle par certains côtés le film "Action mutante" de Alex De la Iglesia, qui serait mélangé à la sauce Cronenberg, avec des protagonistes sensibles et blessés qui suscitent l'adhésion. La "Beauté Reine" décrite dans ce roman, et à laquelle personne n'est censé pouvoir échapper, peut être vue comme un enfer conformiste qui rappelle différents aspects de l'époque à laquelle nous vivons.
Le style est cru, direct, et cependant très soigné, recelant une grande poésie sombre et désespérée. Et on est happés par un rythme plutôt soutenu malgré le fait qu'il s'agisse d'une errance de deux personnages et qu'il "ne se passe pas grand chose", comme certains pourraient le décréter d'un point du vue tout à fait conformiste, justement. Bref, tout ceci est en grand décalage par rapport aux sentiers battus, sans en sortir totalement, et c'est précisément cela qui rend cette histoire intéressante : si on ne trouve pas sa place dans une société totalitaire à divers niveaux, comment dès lors trouve-t-on sa juste marginalité par rapport à celle-ci?