Vondie Curtis-Hall, acteur de seconde zone à Hollywood et réalisateur d'épisodes de séries à ses heures, nous a livré en 1997 son premier long-métrage. Peut-être la seule œuvre réellement franche et honnête de sa filmographie, pour ne pas dire carrément anarchiste, tant ce pamphlet anti-institutionnel va loin dans l'humour noir qui fait rire jaune... Mais vraiment très jaune !

« Gridlock'd », sous ses faux airs de « film de gang », est surtout un film à caractère social et revendicatif. A l'instar de « La Haine » ou « Ma 6-T va Crack-er », sortis plus ou moins à la même époque, le métrage entend mettre le doigt là où ça fait mal niveau hypocrisie socio-économique. Mais contrairement aux deux pellicules françaises précitées, le ton n'est pas ici désespéré, mais bien acerbe, caustique, parfois tout simplement hilarant. Et pourtant, le drame est bien présent...
Deux vedettes sont là pour porter ce film d'un bout à l'autre : Tim Roth et Tupac Shakur. Pour le premier, l'un des rôles les plus marquants reste celui de Mr. Orange dans « Reservoir Dogs » de Quentin Tarantino. Quant au second, il s'agit avant tout d'un rappeur de renom, prématurément disparu – on peut carrément dire zigouillé par balles, n'ayons pas peur des mots ! – mais également, comme c'est le cas ici, d'un acteur talentueux. Tous deux étaient déjà rôdés aux films sur la banlieue américaine au moment du tournage de « Gridlock'd » : on peut citer le froid « Brothers in the Bronx » pour Tim Roth et le nihiliste « Bullet, la guerre des gangs » pour Tupac Shakur.
Stretch (Tim Roth) et Spoon (Tupac Shakur), deux musiciens toxicomanes habitant la banlieue new-yorkaise et vivant en marge du système social, emmènent aux urgences Cookie (Thandie Newton), leur (petite ?)-amie commune, alors qu'elle vient de faire une overdose. Marqués par le fait que celle-ci se retrouve dans le coma, les deux larrons vont décider de s'engager sur la voie tortueuse de la désintoxication.
La force du film de Curtis-Hall repose avant tout sur un savant équilibre entre drame et comédie. Pour être plus précis, la plupart des gags consistent à railler la froideur et la rigidité des institutions et leur fonctionnement labyrinthique. Quand Stretch et Spoon se présentent à un centre de désintoxication, ils se retrouvent face à des employés aussi peu empathiques qu'une meute de kapos nazis, à des formulaires à remplir aussi impénétrables et complexes qu'une thèse de doctorat en astronomie, ainsi qu'à des règles d'admissions aussi draconiennes et absurdes qu'un entretien d'embauche chez Microsoft ! Par ailleurs, en plus d'être transbahutés d'un endroit à l'autre dans toute la ville, nos deux zigotos devront éviter de se faire plomber par un dealer mafieux avec lequel ils ont des démêlés ou encore de se faire coffrer par la police qui, suite à un malentendu, croit avoir affaire à deux tueurs...
Mais la scène la plus significative reste sans doute celle où les deux toxicomanes, enfermés dans les toilettes d'un centre d'aide, sont sauvés in extremis de l'arrestation grâce au fait qu'un vétéran de guerre aveugle vient de lâcher son chien féroce sur tout le monde, provoquant une cohue monstrueuse. Ce vétéran en avait marre d'attendre, lui aussi... Un ancien combattant sauvant de « nouveaux combattants », en somme. Car, il faut le dire, être marginal aujourd'hui est une véritable guerre, comme le démontre ce film.

(critique parue dans le magazine "Poiscaille" du mois de juin 2011)
JJC
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le 17 juin 2011

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