Quand j’avais 5 ans, je ne me suis pas tué, je ne me suis même pas tu, je parlais sans arrêt. Cela faisait un an que j’étais en France et je parlais un mélange de français-espagnol difficilement compréhensible pour mes parents, mais ils agitaient la tête patiemment tandis que dans un flot de paroles ininterrompu, je racontais mes journées à l’école maternelle, les vélos à petites roues, les chutes dans les toboggans, les dessins, les chansons, la peinture, je leur parlais du sourire de Clémence qui me donnait la main à la récré, de mon coeur qui battait dans mon ventre quand elle riait, j’aimais Clémence, elle m’aimait. Pour de vrai, pas comme des grands, comme des enfants.
Dans ce livre, Clémence s’appelle Jessica. Et son amoureux de 8 ans ne s’appelle pas Vincent mais Gil, diminutif de Gilbert. Gil est un enfant que mépriserait sans hésiter François Fillon au journal de 20h. Gil est un peu différent des autres enfants, du moins il pense l’être, du moins c’est ce qu’on lui fait ressentir. Il s’interroge beaucoup, sur tout, il pose des questions, sur tout, il pense sans arrêt, surtout. Dès les premières pages, nous nous asseyons dans un coin de cerveau de Gil et nous l’écoutons parler. Avec son langage d’enfant de 8 ans, ses fautes de syntaxe, ses tournures de phrases décalées, Gil nous raconte son quotidien et l’on navigue entre ses souvenirs d’enfant de 5 ans, à la maison, à l’école, les moments vécus avec ses parents et son grand frère, ses aventures imaginaires peuplées de créatures magiques, on déroule le fil de l’histoire qui commence dans une résidence spécialisée pour enfants souffrant de troubles du comportement, Gil y est enfermé suite à un incident sur une camarade de classe, sur son amoureuse, sur Jessica. Mais Gil ne sait pas, ne comprend pas ce qu’il a fait de mal. On assiste en parallèle à son parcours de soin au sein de la résidence, ses séances de tortures psychiques avec le Dr Nevele qui a bien du mal à comprendre les enfants ordinaires au fond, et à la rencontre entre Gil et Rudyard Walton, un infirmier qui sera bien le seul à pouvoir communiquer et créer un lien avec lui. L’histoire est simple, les mots aussi. On attend avec impatience de connaître le dénouement. Que s’est-il passé avec la petite Jessica, son amoureuse, pour que Gil se retrouve enfermé? Pourquoi ne peut-il pas la voir, pas lui écrire? Ce livre est bouleversant. Il est à la fois un hymne à l’enfance, à l’imagination et à l’amour qui déborde, c’est un hymne à la poésie enfantine, c’est une dénonciation de la psychiatrie classique qui nie le sujet et préfère se réfugier derrière des théories sclérosées qui peuvent détruire tant de vies, mais ce livre est aussi une lueur d’espoir, où la place de l’empathie est plus que vitale pour arriver à comprendre le cerveau d’un enfant. On ne peut que s’attacher à Gil, à ses mots maladroits, à ses pourquoi sans réponse, à son écriture sur les murs de la résidence en attendant que quelqu’un lui réponde. On a envie de prendre Gil dans ses bras, de secouer ses parents qui sont incapables de comprendre, et on serre fort contre soi ce petit Gil, « seul, face à la bêtise des adultes qui transforment ses rêves en symptômes cliniques et son amour en attentat. »
Quand j’avais 5 ans, je ne me suis pas tué, je ne me suis même pas tu. Peut-être que j’aurai pû être un Gil, amoureux de Clémence/Jessica, et incompris face à la bêtise des adultes. Mais j’avais des parents qui m’écoutaient et qui tentaient de me comprendre et c’est ce qui a sûrement fait toute la différence.
Vincent Lahouze