Face au "miroir chinois", on peut comme Jorge Luis Borges proclamer la vacuité de toute traduction en langue latine. On peut aussi dans la ligne de Jean François Billeter penser que patience et modestie peuvent venir à bout de tâches jugées ou impossibles ou trop faciles. Et quand bien même le passeur ne nous offrirait qu'un sentier qui se perd en montagne, le chemin fait n'aura pas été vain. La valeur du chemin réside d'ailleurs dans les difficultés qu'on rencontre en route.

Le flot de poésie continuera de couler de Jean-Marie Gustave Le Clézio m'avait fait sentir qu'une densité et une profondeur se dissimulaient sous l'apparente sécheresse des poèmes de Li Bai. Cela restait pour le moins sibyllin. Poésie chinoise et réalité donne des clefs de lecture : il faut créer une distance - spatiale ou temporelle - pour se détacher de l'énigme, pour la dissoudre en une brume vagabonde. "C'est à ce moment là que la vie, perçue comme accomplie, atteint le plus haut degré de réalité. L'esprit ne réalise vraiment que lorsqu'il ne peut plus intervenir."

Le faisan de Zhuangzi est un bref essai ludique qui fait appel à l'intelligence du lecteur. Jean François Billeter a fait sien l'aphorisme de Karl Kraus : "Seul est artiste celui qui transforme le fin mot en énigme." Billeter parvient à transformer le décryptage d'un texte de vingt-deux caractères en un jeu de piste digne d'une nouvelle de Sir Arthur Conan Doyle. Un docteur Watson plus ou moins talentueux formule des hypothèses tandis que Sherlock les écarte une par une. Un peu de méthode mon cher Watson, il faut revenir aux faits linguistiques ! Tour de force supplémentaire, le sinologue communique l'excitation du violoniste de Baker Street lorsqu'il interprète soudain différemment l'indice qui était sous ses yeux (what you are regarding as a gift is a problem for you to solve). Progressivement - piano, piano - les morceaux s'assemblent en une partition.

La traduction vue de près montre les mérites d'une méthode en cinq étapes dont le but est de restituer au mieux en français le sens perçu d'un texte chinois classique. Toutefois, loin de s'adresser aux seuls spécialistes sinophones, le domaine d'application de la méthode s'étend à la traduction d'une pensée en mots. Elle participe à "la clarification logique des pensées" qui constituait pour Wittgenstein le cœur de l'activité philosophique.

Poésie chinois : que faire ? esquisse ce qui aurait pu être fait dans l'Anthologie de la poésie chinoise parue dans La Bibliothèque de La Pléiade. Un petit "acharnement" qui donne suite à la notice sur les "philosophies taoïstes" dans le Contre François Jullien.

"Notre vie n'a pas de fin, comme notre champ de vision est sans frontière." - Wittgenstein.

Aragne-souriante
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le 28 août 2023

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