Il y a, plus que dans les autres romans de Victor Hugo, deux ouvrages dans Quatrevingt-Treize ; le roman et le récit historique.
«La grande année révolutionnaire », Victor Hugo l'aborde à la fois par un roman politique (et social) aux revendications claires, à la langue forte et poétique, où, à chaque instant, la justesse et la puissance du mot sont magnifiées. Il narre également le récit historique précis de cette période fortement troublée.
Victor Hugo y décrit ce moment particulier de la révolution française, la Terreur, pendant laquelle se déclencha la guerre civile de Vendée, ironie du sort, dirigée par le marquis de Lantenac, probablement voltairien et huguenot, auquel s'oppose son neveu Gauvain, commandant des républicains.
La guerre avec d'autres états d'Europe est brièvement évoquée mais ce n'est pas le propos du livre.
Victor Hugo recréé notamment la vivacité les dialogues acérés entre Danton, Robespierre, Marat et Cimourdain dans une scène mémorable au cabaret de la rue du Paon.
L'auteur semble avec ce livre solder son passé monarchiste, clamant haut et fort son amour du républicanisme, rappelant sa farouche opposition à la peine de mort, et laissant éclater son anticléricalisme ; l'église, qui, pour recruter des fidèles, utilise des grossières ficelles. Cependant, la majorité des personnages croient en Dieu, royalistes et républicains confondus tout comme Victor Hugo, qui place la conscience de l'homme au niveau de Dieu.

Le livre donne également à Victor Hugo l'occasion d'exprimer ses goûts personnels, en matière d'architecture ; il fait, par exemple, de la forteresse des Gauvain une synthèse des châteaux en ruine visités au cours de ses voyages.
« La Tourgue » est une métaphore maritime, et l'on ressent fortement dans le livre deuxième (« La corvette Claymore ») son profond attachement pour la mer. Souvent, des allusions à cet élément seront faites.
Victor Hugo utilise des citations, des personnages, des lieux ou du vocabulaire issus du monde antique ou médiéval qui ponctuent le roman. Des personnalités grecques, latines ou françaises du XVIè et XVIIè siècles sont fréquemment citées, donnant une atemporalité au récit. Victor Hugo se réfère en outre en filigrane à ses ouvrages précédents.
L'érudition de Victor Hugo se déploie sur plusieurs longs chapitres (la Convention, la Vendée [première partie], une bastille de province). Tant d'exhaustivité est parfois contre-productive et ralentit le déroulement du roman.
Si ses descriptions très détaillées de la Convention sont passionnantes et instructives, ses énumérations de tous les chefs de guerre vendéens peuvent lasser.
Toutefois, la construction du livre s'avère être très habile; le tout premier chapitre est en apparence anecdotique ; Michelle Fléchard et ses trois enfants sont découverts dans un hallier. Elle fera le lien avec une des issues du roman, arrivera à la Tourgue après son terrible assaut, et assistera au sauvetage de ses enfants. Les destins des personnages sont très adroitement mêlés.

Des personnages se retrouvent un grand nombre d'années après, d'autres se croisent, chacun portant son histoire.
Un des personnages les plus forts est le mendiant cosmique, Tellmarch ; il y a également le valeureux lieutenant Radoub, au nom d'un terme de marine.

Mais le duo Gauvain - Cimourdain est l'exceptionnel ; dans cette relation à la fois filiale mais aussi de maître à élève, la dureté inflexible de l'un s'oppose à l'utopie rêveuse de l'autre. La joute oratoire quasi-finale dans la geôle est un morceau d'anthologie, deux visions antinomiques de l'idée de la révolution s'y opposent, et Gauvain y énonce un véritable programme philosophique et politique.
Le roman se termine dans l'apothéose d'un drame cornélien. Elle est grandiose.

abel79
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le 10 août 2021

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