Écrit à une époque où l’ethnologie et l’anthropologie aimaient encore à classer et hiérarchiser les races et les cultures, où les empires se refusaient à libérer leurs colonies, ce livre est une mise au point utile et percutante, qui met à bas tout discours colonialiste. C’est donc un écrit clairement inscrit dans son temps. Mais c’est une lecture qui reste utile, en proposant des réflexions qui restent éclairantes sur, par exemple, l’évolutionnisme culturel, la notion de progrès, la collaboration entre les cultures, etc., et en montrant que des notions crues objectives sont en fait des croyances subjectives, teintées d’ethnocentrisme. Il s’agit aussi d’un bon travail de vulgarisation, avec une langue d’une grande précision et des comparaisons éclairantes.
Mais contrairement à ce qu’annonce le titre, l’essai ne m’a pas semblé apporter grand-chose à la réflexion sur l’histoire, et la distinction qu’il opère entre histoire stationnaire et cumulative me semble assez contestable, d’autant plus que Lévi-Strauss lui-même la propose avec de nombreuses réserves. C’est d’ailleurs le peu d’intérêt de Lévi-Strauss pour l’histoire que pointe l’essai de Jean Pouillon qui suit celui de Lévi-Strauss, et qui est lui aussi d’un intérêt certain, notamment dans la mesure où il montre bien l’horizon intellectuel et culturel dans lequel Lévi-Strauss conçoit l’anthropologie structurale, par des comparaisons avec la démarche linguistique, mais aussi avec la psychanalyse et la dialectique marxiste. Pouillon présente ces comparaisons comme des preuves de la valeur de sa théorie ; mais peut-être est-ce nous plutôt une raison d’être plus circonspects.
Lévi-Strauss construit sa réflexion au sujet du progrès sur une dialectique entre l’uniformisation née de la collaboration (pas forcément heureuse) entre les cultures et la diversité entre les cultures et à l’intérieur de celles-ci, nécessaire pour faire advenir le progrès. Se pose alors le problème de l’occidentalisation à l’œuvre presque partout. Claude Lévi-Strauss évacue, me semble-t-il, un peu cavalièrement le problème, en suggérant que peuvent émerger de nouveaux modèles, et qu’il s’agit sans doute d’un phénomène temporaire. Mais soixante-dix ont passé depuis, le modèle soviétique s’est effondré, et on peut sans doute affirmer que l’occidentalisation s’est accentuée. Je suis donc resté sur ma faim à ce sujet.