Rature est une nouvelle de Philippe Claudel mettant en scène la destinée simple et rugueuse d'un marin-pêcheur de l'Ouest, que le fils abandonne face au métier après avoir manqué de se noyer lors d'une sortie. Sur fond de description largement poétisée de l'océan, mise sous le patronage en exergue de Shelley, la nouvelle sera surtout l'occasion pour Claudel de réfléchir au lien de paternalisme et au caractère indicible de l'expérience qui dépasse toujours la mise en mot, surtout chez ceux confrontés à des difficultés de lettrisme.
Il y a un snobisme d'une hypocrisie assez puante à utiliser le couvert de la littérature romantique pour faire un éloge faux-cul d'une brutalité empirique de la sensation à laquelle par définition on ne donne jamais accès quand on fait de la littérature. Philippe Claudel est une sale baderne et on le voit encore ici, puisqu'il est tout autant oxymorique de se branler sur la poésie de la rature quand on le fait à destination d'urbains via un verbe germanopratin.
Mais même si on met de côté cette perspective, qui rend tout aussi suspect et ridicule ce bouquin que les éternels épigones de la littérature prolétaire ou d'usine que l'on se tape ces temps (je me méfie de Ponthus, à voir), force est de constater que les idées poussées par Claudel sur la beauté rocailleuse du quotidien sont d'un simplisme consternant et d'un manque d'inventivité absolument total.
Mais alors pourquoi 7 ? Parce que le livre ressort chez Stock magnifiquement illustré par Lucille Clerc, et qu'elle mérite l'achat de la mirlitonerie du tartuffe avec ses superbes sérigraphies. Même sans lire les lignes disposées çà et là très élégamment sur les pages, la suite de visions tantôt art déco, tantôt symbolistes, tantôt impressionnistes, tantôt maniéristes de l'autrice dessine une sorte d'histoire de l'art dans la mer qui a sa progression logique et intègre, où le parcours des images peinturlurées de bleus souvent sombres esquisse une lente et graduelle noyade dans l'encre dont la tourbe noire sera percée d'un peu de soleil peut-être à la fin.
C'est un livre magnifique à parcourir dont le façonnage graphique ne se contente pas d'accompagner le texte mais vient le cerner, l'immerger, le submerger, et le noyer finalement. Ce qui vaut mieux.