Le roman d'une grande absente
Comment faire d'une morte le personnage principal d'un roman sans jamais avoir recours au flashback, c'est là que s'exprime tout le talent littéraire de Daphné Du Maurier.
Rebecca, compagne morte de Mr de Winter apparaît au détour d'une signature voluptueuse sur un morceau de papier, sur les étoffes de soie d'une lingerie qui en dit long sur le passé de femme fatale de l'héroïne éponyme ou encore dans les ombres flotantes de sa dernière demeure secrète, l'épave dans la crique.Si le prénom de la nouvelle femme de Mr de Winter n'est jamais mentionné, le fantôme de Rebecca lui, se fait omniprésent, opressant et prend toute son ampleur, toute sa cruauté envers la fausse héroïne de l'histoire l'orsque l'effrayante Miss Danvers, domestique en chef de Manderlay exerce sa pathétique malveillance sur cette créature angélique.Danvers, digne héritière du roman gothique, personnage que l'on attend au détour de chaque chapitre décrite telle une morte vivante, déambulant dans le souvenir douloureux de sa Rebecca ne cessera de tourmenter la nouvelle épouse, exact contraire de la grande dame en noir.Dès l'introduction Du Maurier bouscule les barrières spatio temporelles, anime son histoire au moyen de diverses sensations, l'inquiétant parfum d'une fleur, un fauteuil usé, un mari dont les silences accablants laissent penser à sa compagne qu'elle n'est pas à la hauteur de sa situation de grand bourgeois.Toute cette histoire se déroulant pourtant en une seule unité de lieu, il fallait une nouvelle femme virginale pour se faire ainsi empoisonner par le passé et y trouver une libération.Pour le lecteur il va sans dire qu'il prend un malin plaisir à voir ainsi Mme de Winter se faire malmener, à perdre son innocence. Chose impossible sans la majestueuse demeure de Manderlay véritable personnage du roman dans la tradition littéraire du XIXème où le sentiment de peur fonctionne à merveille.Il faut le dire, le mal est présent partout dans ce roman à la progression dramatique parfaitement charpentée (seule la traduction française est un peu lourde vers la fin).
Mais atention voici un vrai faux roman gothique, nous savons dès le départ que Mme de Winter reste en vie même si poussée au suicide par Danvers.La fin, bien ambigue , une certaine complicité dans le meurtre et les flammes d'un incendie infernal ou rédempteur laissent penser que Du Maurier ne s'est pas laissée emporter par une certaine convenance morale.
Bien sur ce cher Hitchcock a su retranscrire parfaitement le roman atmosphérique dans cette Angleterre austère et insufler aux personnages toutes leurs caractéristiques, allant jusqu'à ne jamais filmer les pied de Miss Danvers pour nous donner l'impression d'un flottement fantomatique.
Je ne sais toujours pas de laquelle des deux oeuvres je préfère.