Je viens de lire Réflexions sur la question gay, de Didier Éribon. C’est très bien. C’est un classique qu’il faut lire, ou avoir lu, ou avoir, quand on s’intéresse à ladite question.


L’ouvrage consiste en fait en trois essais presque indépendants, et juxtaposés. Le premier, « Un monde d’injures », est une « anthropologie sociale » de l’homosexualité masculine, couplée à une phénoménologie de l’expérience gay. Je trouve toujours ce genre d’entreprises extrêmement émouvantes et stimulantes, car je ne peux pas les lire sans me demander à chaque page à quel point telle ou telle idée résonne ou non avec ma propre vie. J’aurais peut-être une réserve à formuler sur le caractère excessivement sombre du tableau dépeint par Éribon : en faisant de l’« injure », ou plus généralement de la stigmatisation, le point de départ de la constitution du sujet gay, il en vient nécessairement à dégager une vision qui m’a paru, parfois, confiner au misérabilisme. Mais je crois que c’est aussi une question d’époque : le livre a paru pour la première fois en 1999, avant d’être réédité presque tel quel en 2013, et il y a certainement eu entre les dates des évolutions (positives) que l’auteur n’a guère prises en compte.


La deuxième partie s’intitule « Spectres de Wilde », et étudie l’élaboration d’une culture homosexuelle en Angleterre et en France à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. L’analyse est très fine, très subtile, et met bien en évidence la façon dont les discours se produisent, se reprennent, se réfutent, se croisent, et notamment la façon dont les discours d’auto-légitimation de soi sont pris dans des interactions constantes – et parfois déplaisantes – avec des discours masculinistes ou homophobes. Comme le titre le suggère, cette section s’appuie en particulier sur des œuvres d’écrivains (Wilde, Gide, Proust) et propose quelques séduisantes réflexions sur les enjeux des choix génériques : essais, poèmes, fictions narratives…


La troisième partie, « Les hétérotopies de Michel Foucault », est celle qui, je dois dire, m’a le moins intéressé : Éribon entreprend une longue discussion avec les écrits foucaldiens sur l’homosexualité, et a priori je me fiche de Foucault. Mais il y a quand même des choses utiles à grappiller. En particulier, Éribon s’attache à réfuter l’idée exprimée dans La volonté de savoir selon laquelle l’homosexualité serait une invention de la fin du XIXe siècle ; sa démonstration, qui s’appuie d’ailleurs sur le dernier Foucault, se fonde à la fois sur des arguments historiques précis et sur une réflexion sur ce que cela signifie, au juste, une « identité » homosexuelle – c’est-à-dire sur la manière dont on peut, ou plutôt dont on ne peut pas vraiment, distinguer strictement l’« identité » et les pratiques qui la fondent. Il y a là de quoi répondre, davantage qu’aux foucaldiens dogmatiques (que l’on n’entend plus beaucoup), à toute cette mouvance qui prétend que l’identité homosexuelle est strictement localisée dans le temps et dans l’espace et qui voit de l’impérialisme insidieux dans le fait de croire qu’elle existe ailleurs qu’ici. Vous voyez ce que je veux dire.

Gauvain
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le 14 mai 2018

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