( Presque ) tous les commentateurs s'accordent à saluer la performance de Sorj Chalandon, qui réussit dans ce roman en grande partie autobiographique à rendre sympathique celui qu'il a tant aimé... et finalement tant détesté trois ans plus tôt dans "mon traître". Pas grand chose à ajouter aux analyses d'IIsla, la_Chariotte et nm-reader, sinon qu'à mon avis ce roman n'est pas le 2° panneau d'un dyptique, ni l'envers d'un miroir, mais la fin d'une trilogie : ils n'ont apparemment pas vu l'importance de "La légende de nos pères" dans le processus qui a conduit l'auteur à ( nous faire ) comprendre ici le point de vue de son ami "Tyrone".
Il me semble que c'est surtout la question de la mémoire et de sa transmission qui est posée au long de ces 3 histoires. Sorj Chalandon, qui comme Antoine a vêcu d'idéaux dans sa jeunesse, a dû se recentrer sur son métier de journaliste pour analyser les responsabilités de chacun dans cette "trahison".
Dans "La légende de nos pères", un écrivain public, dont le père avait toujours refusé ( par pudeur ? ) de parler de ses exploits de résistant, est engagé pour rédiger ceux qui ont alimenté les rêves d'enfant d'une dame - qui règle les prestations- . Mais il a rapidement des doutes sur la véracité des propos du soit-disant héros ( d'où la référence à la chanson de Bashung ). Or si ce dernier, sur le moment juste désireux d'aider sa fille à s'endormir paisiblement, veut finalement quitter ce monde en paix avec lui-même, et désire rétablir une vérité qu'il n'a jamais osé avouer, il apparaît clairement que sa fille Lupuline n'a pas envie d'être déçue...
Tout comme Antoine, ce jeune luthier français en mal de repères, qui dans "Mon traître" s'était trouvé un modèle à admirer, se retrouve dévasté quand le mythe s'effondre, Lupuline ne peut tolérer d'avoir été trompée, mais surtout de perdre ses illusions, sa FOI.
Par contre Tyrone a pu dès l'enfance faire l'expérience physique et morale de la face cachée du sourire si doux de son héros de père, lui même tombé de son piédestal pour n'avoir pu accepter de retourner à la banalité du quotidien.
Car ce sont les autres qui font de vous un modèle : Tyrone, lui, est obligé - par les circonstances ( sa convalescence ), par son entourage ( l'IRA a besoin d'en faire un héros ), et par sa peur de décevoir ses proches, et donc de perdre leur affection - d'omettre de dire la vérité sur la mort de son camarade de combat.
Et c'est tout de même bien agréable d'être admiré, il faut le reconnaître.
Mais comment vivre sereinement dans le mensonge au quotidien, avec au fond de soi la mauvaise conscience, l'inquiétude... et sous la menace constante d'être démasqué ?
Et comment vivre, tout simplement, quand on n'est plus qu'un individu ordinaire, quand on a perdu son auréole, son statut de guide, de modèle... ou, pire, quand on n'est plus considéré qu'avec mépris, ou commisération ?
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