Peu de choses à sauver ou à dire de ma lecture décevante de Rhum. L'histoire de Jean Galmot est pourtant un matériau passionnant, et le double terrain de jeu d'un homme suspendu entre métropole et Guyane pouvait fournir des images de grande ampleur — certaines des citations des papiers de Galmot comptent d'ailleurs parmi les meilleures lignes du roman. On pourrait ajouter à ces données prometteuses le talent indéniable de Cendrars à son meilleur (Moravagine…). Le bilan est pourtant fort maigre. Rhum se lit comme un article de presse pas spécialement talentueux, qui cède souvent à la banalité de plume : telle disparité de traitement est-elle qualifiée d'exemple d'un “deux poids deux mesures”, ce qui, pour être littéralement exact, nous rappelle davantage l'antenne de BFM TV que le Parnasse. Par moments, Cendrars délaie beaucoup, ce qui m'avait déjà agacé dans Le Lotissement du ciel ; la longue reproduction de l'horoscope de Galmot, suivi de forces exclamations surjouées, donne l'impression d'un pigiste qui tire à la ligne.
Le fond est parfois peu clair, s'agissant en particulier des accusations financières levées contre Galmot ; la partialité assumée de l'auteur, et surtout son intention claironnée de faire de son protagoniste un Don Quichotte du XXe siècle, brossé à très grands traits, nous laisse penser que la réalité aura été piétinée ici et là. On en trouve la trace à la description du rapport du député Galmot à sa circonscription américaine, devant laquelle le lecteur contemporain ne pourra qu'esquisser un sourire — “Papa Galmot” est adulé tout ensemble par les colons travailleurs qu'il représente et par les Noirs, alors que ses adversaires politiques sont nécessairement stipendiés… même s'il est vrai que ce genre de personnalités charismatiques reste encore aujourd'hui un des charmes troubles de la vie politique ultramarine (Gaston Flosse…), le kitsch colonial dépasse parfois un peu les bornes, d'autant qu'il semble plaqué à des fins hagiographiques.
Malgré cela, je ne suis pas découragé d'en apprendre plus sur Galmot — peut-être me tournerai-je vers une version plus nettement romancée de son histoire, le Terre de Chanaan de Louis Chadourne.