Tombé par hasard ( parmi les sélections du mois de ma bibliothèque municipale ) sur ce petit bouquin à la couverture sobre, mais au titre un peu énigmatique, qui renvoie sans doute au passage de l'évangile selon St Matthieu 8.19. ( " le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête." ), plutôt qu'à la lettre de Maurice Sachs que cite Modiano dans sa préface, ou qu'au poême posthume d'Henri Michaux dans "Déplacements, dégagements" ( paru en 1985 ).
La 4° de couverture m'a donné envie, sans trop savoir pourquoi : peut être d'abord les mots "témoin", " français divisés" et "objectivité"... et puis et les derniers : " la voix, le regard, l'émotion d'une femme". Les témoignages de femmes ayant réussi à échapper à la déportation sont il me semble plutôt rares. http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr/temoignages.htm
La préface de Patrick Modiano, que j'ai lue avant de commencer ( ce que je fais rarement ), m'a aidé à entrer dans le récit ( mais en m'interdisant du coup cette naïveté d'ado de 14 ans qui s'abreuvait de Littérature à une époque où les auteurs n'étaient pas contraints comme aujourd'hui à faire de l'auto-promotion sur les plateaux de télé ou dans les foires du livre, se transformant ainsi en voyageurs de commerce ). J'ai tout de même eu l'impression, comme notre Prix Nobel 2014, de lire "la lettre d'une inconnue, oubliée poste restante depuis une éternité, et que vous recevez par erreur, semble-t-il, mais qui vous était peut-être destinée.... d'entendre la voix d'une personne dont on ne distingue pas le visage dans la pénombre, et qui vous raconte un épisode de son existence."
C'est la voix d'une femme cinquantenaire, issue d'un milieu relativement aisé, mais une femme seule, d'origine polonaise et juive, qui tente d'échapper à son sort. Elle décrit avec clairvoyance son sentiment d'être une bête traquée, ses espoirs, ses déceptions, ses peurs, ses moments de découragement, et dépeint avec beaucoup de tendresse ces Français qui lui sont venus en aide au péril de leur vie, parfois même contre leurs propres convictions politiques et avec une certaine ironie ceux qui ne pensent qu'à leur propre intérêt.
On peut d'ailleurs se sentir interpellé par ce témoignage : qu'aurai-je fait en pareille circonstance ? Aurais-je, par exemple, prêté mes papiers ? Aurais-je résisté ? Comment me serais-je comporté sous la torture ?
Françoise Frenkel n'évoque que rarement sa famille restée en Pologne dont elle n'a aucune nouvelle, et jamais son mari qui a disparu dans la tourmente. Elle est sûrement tout à fait consciente d'avoir fait partie des privilégiés qui ont pu s'en sortir, et ne se plaint jamais.
Cet unique livre, qu'elle a écrit en Suisse en 1943, peu de temps après avoir clandestinement franchi la frontière, et qui sera publié à Genève en 1945, avait vite sombré dans l'oubli.
Ce n'est pas un chef-d'oeuvre de la Littérature. Ce n'est pas son but.