En 1939, Françoise Frenkel abandonne sa librairie berlinoise, la première librairie française d’Allemagne, et fuit le pays pour gagner Paris puis le sud de la France. Mais loin d’être les refuges espérés, Avignon et Nice où elle séjourne successivement sont peu à peu gagnées, elles aussi, par la menace des rafles et de la déportation. De cache en cache, Françoise Frenkel attend le moment propice pour fuir en Suisse en passant par la Savoie, seule garantie d’échapper au camp français de Gurs, ou à bien pire encore.
Françoise Frenkel finit par gagner la Suisse en 1943. Installée sur le bord du lac des Quatre Cantons, elle entreprend aussitôt de raconter sa vie de fugitive dans Rien où poser sa tête, son seul livre, publié à Genève en 1945 et par la suite totalement oublié. La redécouverte d’un exemplaire dans un vide-grenier en 2010 a permis sa republication en 2015 dans la collection L’arbalète.
Je m’étonne de ne découvrir pour ma part que maintenant ce récit qui me semble si fort et si important, et dans lequel on perçoit parfaitement qu’il a été écrit dans l’immédiat contrecoup de ces trois ans de fuite, dans une nervosité qui se communique encore au lecteur. Malgré cette fébrilité de tous les instants, Françoise Frenkel y parvient à faire un portrait parfaitement composé d’une société improvisée de fugitifs et de leurs quelques secours, Niçois ou Savoyards à la bonté et au courage remarquables. Un grand témoignage à vif qui éclaire les parcours de ceux qui ont réussi à échapper à l’horreur, et de ceux qui ont été arrêtés à quelques mètres des barbelés qui signalaient la frontière tant espérée.