"Pour un écrivain, il n’est pas de plus grande tentation que d’écrire la biographie de son assassin"
Tout le monde a entendu parler d’Amélie Nothomb, beaucoup l’ont lue, et beaucoup l’ont critiquée ou encensée. « Mon premier Nothomb » c’était « Robert de noms propres », que j’avais découvert au hasard d’une aire d’autoroute- soit.
J’ai tout de suite été attirée par le titre, la couverture, et surtout, surtout, la quatrième de couverture, qui au final s’avère être la seule chose à retenir et apprécier de ce livre. Je garde du contenu une impression très claire de m’être fait flouer. On peut laisser à l’auteur que sa plume est fluide, et ses romans courts, quelques tournures de phrases qui font échos, à défaut d’être belles, et un fond de « vécu » (quoique noyé dans tes pseudos frasques et un lyrisme complètement artificiel.)
Les dialogues sont très théâtraux, tout comme les personnages eux-mêmes, et d’emblée, l’auteur a placé les bases d’une jolie tragédie, avec son héroïne privilégiée par la nature, et très malmenée par l’existence.
Toute l’imagerie du livre se veut empreinte de grâce tragique, du « sublime » : les danseuses squeletiques dont les pointes soyeuses cachent des pieds immondes, temples de douleurs, une mère toute jeune qui rêve à toute allure, refuse la morosité d’une vie «médiocre», en commettant d’abord un meurtre, puis un suicide. Bref, vous aussi, ça vous enverrait de très belles images de grâce mêlée de folie et de glauque.
Seulement, non, ça n’envoie rien. Tout est galvanisé, convenu, mal interprété. Les acteurs de la pièce sont d’une lisseur totale. Commençons par ceux qui sont à peine plus définis que le décor : Clémence, la mère adoptive n’est que vénération, Denis, le père adoptif, soumission, l’institutrice, médiocrité.
Le seul personnage travaillé de ce roman est Plectrude, l’héroïne centrale : un prénom désuet-talisman, un don inné de se faire aimer, une naissance dans des conditions absurdes et tragiques, un regard profond-transperçant-magnifique-au-delà des mots et une absence quasi-totale d’appétit. Comme dirait un autre personnage : « Ca fait princesse gothique », avec son lot de fascination-répulsion. Et en plus, elle est belle, intelligente, ambitieuse, elle a une jolie voix, une relation un peu trop fusionnelle à sa mère, et désireuse de réaliser le rêve d’enfant de celle-ci…. Un bel exemple de Mary-Sue comme on ne les aime pas.
Et comme toutes les Mary-Sue, Plectrude doit subir un tas d’épreuves terrifiantes : des lacunes en calcul, le désamour de sa maîtresse et les moqueries de ses petits camarades béotiens, d’abord.
Jusqu’à ce qu’elle explose le test de QI et devienne la meilleure amie adulée d’une petite fille populaire. On est contents, l’auteur précise que son triomphe n’est pas écrasant, et qu’elle parvient à éviter la case pimbêche.
Je pourrais continuer encore longtemps, mais je pense que l’idée y est.
Et l’intrigue, alors ? Sans surprise, pour une héroïne pareille, la danse et la faim.
Pour la danse, dans un premier temps et quelques phrases, le décor était posé, et assez juste, peut-être ; le questionnement portait sur l’intérêt d’étudier ses passions, ce que l’étude enlève au plaisir, et sincèrement, c’est peut-être le sol moment de ma lecture où j’ai ressenti un lien d’empathie.
Ensuite, le rapport au corps se fait plus étroit : le poids, les médicaments pour maigrir/empêcher les transformations physiques, au désir qu’on peut ressentir.
Amélie Nothomb aborde tout ça à grand renfort de métaphysique, de théories sentimentales, et de lyrisme, sans creuser la question. C'est par idéal que l’héroïne cesse pour ainsi dire de se nourrir –et tout aurait été bien si elle ne s’était pas ruiné l’ossature. Je suppose qu’à ce moment-là au moins on est censés ressentir de l’empathie pour elle, mais je suis désolée, ce n’était pas assez crédible pour moi, pas assez porteuses d’image. « Mais mademoiselle, vous ne danserez plus jamais ! » Ciel, mon roman. Mais passe encore. Cela aussi, j’aurais pu l’accepter.
Mais non. On continue :maintenant, la mère est révulsée par la fille, la harcèle, fait de sa vie un enfer, alors que Pauvre Plectrude tente de retrouver une vie et un poids normal. Le pire dans tout ça, c’est que je suis convaincue que c’est un cas de figure vécu/crédible et, oui, je reconnais à l’auteur que les répliques de Clémence, même si elles sont convenues à crever restent effectivement "à crever", tellement elles sont cruelles. Enfin, les deux premières, peut-être, après, on s’emmêle.
Cependant, Nothomb préfère esquiver, repartir dans son délire tragi-comique, y mêlant même Ionesco. Plectrude enceinte, à dix neuf ans, bien décidée à se suicider juste après l’accouchement, pour faire comme sa mère biologique. C’était sans compter le premier amour, qui réapparaît en dernière minute, la sauve et je cite :
« -Tu as quelqu’un ? demanda Mathieu, sans perdre une seconde.
-Célibataire, avec un bébé, répondit-elle aussi sec.
-Parfait. Tu me veux ?
-Oui.
Il empoigna les hanches de Plectrude et les retourna à cent quatre-vingt degrés, pour qu’elle n’eût plus les pieds dans le vide.Ils se roulèrent un patin afin de sceller ce qui avait été dit. »
Ici, décèdent crédibilité, romantisme, et style. Si on est pas achevés/dégoûtés soi-même, on peut continuer à se flageller pendant encore quelques pages :
A ce moment précis, j’avais atteint la cent quatre-vingt-sept de ce roman de deux cent pages. Et je cherchais toujours l’assassin qui m’avait poussé à perdre cinq euros, et une heure de ma vie.
Si si, elle l’a fait. Tout allait bien, jusqu’à ce qu’ apparaisse dans le roman Amélie Nothomb, qui devient en une phrase « l’amie, la sœur dont elle avait tant besoin » (Ah ? ).
Pendant une demi seconde, encore, j’y ai cru, je me suis dit que l’assassinat serait mental, que c’était l’histoire/les similitudes, qui sait, entre la vie de cette danseuse cassée et celle de l’auteur qui assassinerait quelque chose en Amélie. Mais non. voilà qu’ elle nous pond une analyse bien freudienne sur les meurtres qui imprègnent sa Plectrude. Et ben, Plectrude, elle n’y avait jamais pensé. C’est torché rapidement, voilà:
« [ …] Comme il y a une forme de justice, elle assouvit son désir d’assassinat sur celle qui le lui avait suggéré. Elle prit le fusil qui ne la quittait pas et qui lui était utile quand elle allait voir ses producteurs et tira sur la tempe d’Amélie.
-C’est tout ce que j’ai trouvé pour l’empêcher d’élucubrer, expliqua-t-elle à son mari, compréhensif. »
Certain riront, d’autres hausseront les épaules, en se disant qu’au moins, "Robert des noms propres" a tué une heure de leur temps. Tant mieux. Pour moi, la quatrième de couverture et les deux dernières phrases, définitivement les seules qui m’ont parlé ont plus de sens seules qu’en contexte. Dommage, vraiment.