⚠️ Une maintenance est prévue ce Mercredi 4 décembre de 9h00 à 13h. Le site sera inacessible pendant cette période.

Romances sans paroles : une définition de la poésie ?

Tout réside là, dans ce titre obscur : "Romances sans paroles". Idée bien étonnante quand la poésie s'entend souvent comme romance par la parole, romance de la parole ou même parole romantique.

La parole est communication, usage du langage pour s'adresser à la pensée de l'autre. Ici, Verlaine en fait fi. Il rejoint ici la conception musicale de la poétique. La poésie est une sonorité, un effet des vers qui sonnent à notre oreille, une forme particulière - un alexandrin, une rime, une assonance - qui nous satisfait comme un bel enchaînement de notes. Dans la poétique de Verlaine, ce qui compte n'est pas tant ce qui est dit que l'effet de ce qui est dit. Il s'adresse aux passions, aux affects et non pas à l'entendement de notre esprit. D'autant plus que la romance est roman des affects en littérature, et à l'époque de Verlaine, mise en musique de ces mêmes passions (Debussy, Saint-Saëns...)


"Je devine à travers un murmure

Le contour subtil des voix anciennes

Et dans les lueurs musiciennes,

Amour pâle, une aurore future !


Et mon âme et mon coeur en délires

Ne sont plus qu'une espèce d'oeil double

Où tremblotte à travers un jour trouble

L'ariette, hélas ! de toutes lyres !"

III



Les "lueurs musiciennes" sont finalement l'"aurore future" de sa poésie. Verlaine propose donc des romances où la parole est désuète mais où sa mise en forme s'adresse directement à nos affects, au cœur de notre ressenti. Le vers de Rimbaud repris en épitaphe d'Ariettes III (Il pleure doucement sur la ville) n'a ainsi jamais existé. Mais qu'importe ? Au final, la parole est bel et bien restauré, mais pour être désœuvrée (les composantes de l'être "en délires", le monde vu "à travers un jour trouble")


La première partie, Ariettes oubliées, possède elle aussi un titre assez heuristique. L'ariette est une petite musique joyeuse, aérienne, sans gravité. Verlaine joue ainsi gaiment de la musique avec les paroles (ici de la romance), avec les mots jusqu'à les vider de leur signification pour n'en garder que la forme. La romance s'oppose ainsi à l'ariette : l'une est profondeur du sentiment, l'autre est désinvolture (ainsi là, "l'oeil double). Avec Verlaine, l'ariette devient romance et la romance devient ariette (L'ariette, hélas, ! de toutes lyres). Verlaine joue des paroles et les recompose. Les romances sans paroles sont l'expression d'une nouvelle parole.


L'inscription de la deuxième partie dans l'esthétique du recueil est plus mystérieuse. Elle est une "simple fresque" de paysages belges. Ici, Verlaine se fait impressionniste. Comme Hugo dans l'Art d'être grand-père ("fenêtres ouvertes"), comme Eluard, comme les surréalistes, il s'arrête à l'impression qu'il fige dans une expression particulièrement court révélant l'instantanéité du moment vécu. On notera la fragmentation de la parole dans les vers.


"Sites brutaux !

Oh ! votre haleine,

Sueur humaine,

Cris des métaux !"

Charleroi


Encore une fois, la forme englobe le signifié du langage. Ces sonorités frénétiques relèvent d'un rythme accéléré, inquiet, fiévreux ; comme des percussions qui s'emportent. Bref, tout est rythme, tout est musique. La parole se fait avènement de l'évènement, imitation de ces "cris des métaux" ; en un mot, la parole est réduite à ce qu'elle décrit. A tel point que la parole disparaît. On ne lit pas les cris des métaux, on les entend. Chez Verlaine, la parole se révèle pour s'effondrer et se révéler encore.



La dernière partie est une série d'aquarelles. On comprend encore la vocation impressionniste de ce recueil qui nous permet donc d'élargir le champ de la non-parole à la peinture, au-delà de la musique. Les titres sont en anglais. Ils invitent à penser que la parole française, celle native au lecteur, est impropre à les exprimer. La langue étrangère, même maîtrisée, reste toujours étrangère, mystérieuse, presque initiatique. Elle exprime une transcendance qui ne se lit moins dans la langue native, beaucoup plus transparente. Moins transparente, l'attention est centrée plus sur la forme que sur la signification. La parole a vocation à s'effacer. Le narrateur aime "Kate", dont la sonorité étrangère nous paraît un peu plus sexy que "Véronique" (#instanthumour). "Green", "Spleen", Streets" sonnent ensemble par ce "ee" unificateur. Ils sont une unité de sens à eux seuls, au-delà de la parole en tant que simple mot.

Dans "A Poor Young Shepherd", les vers sont des pentasyllabes. Imparité qui reste toujours une originalité poétique. Dans Jadis et Naguère , il nous éclaire sur cette pratique :


"De la musique avant toute chose

Et pour cela préfère l'impair

Plus vague et plus soluble dans l'air

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose."


Bref, les romances sont sans paroles. Elles ne pèsent rien et sont solubles dans l'air




Critique fragmentée. Je vous laisse le soin de chercher où sont les romances sans paroles dans "Birds in the night", poème assez orthodoxe constituant l'entière avant dernière partie du recueil avant les aquarelles et dont la place dans cet ouvrage interroge. Où est sa romance sans parole ?

jbthedanger
9
Écrit par

Créée

le 9 oct. 2024

Critique lue 16 fois

jbthedanger

Écrit par

Critique lue 16 fois

D'autres avis sur Romances sans paroles

Romances sans paroles
Marot777
9

Romances sans paroles - Paul Verlaine

« Romances sans Paroles » est un court recueil de poésie écrit par le poète français Paul Verlaine. Le recueil fut publié en 1874 sous un titre emprunté à un ensemble de pièces pour piano...

le 2 oct. 2020

1 j'aime

Romances sans paroles
jbthedanger
9

Romances sans paroles : une définition de la poésie ?

Tout réside là, dans ce titre obscur : "Romances sans paroles". Idée bien étonnante quand la poésie s'entend souvent comme romance par la parole, romance de la parole ou même parole romantique. La...

le 9 oct. 2024

Romances sans paroles
Arimaakousei
7

Court mais intime

Lu en Mars 2019. Relu en Décembre 2020. 7/10 Recueil décomposé en 3 parties. Très sensuel, sensualiste même, basé sur les émotions et les sensations du poète, qui s'exprime dans une versification...

le 28 déc. 2020

Du même critique

Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, tome 1
jbthedanger
9

Une philosophie de l'insaisissable contre l'esprit de système

Philosophie de l'insaisissable contre l'esprit de système, Jankélévitch parvient - s'il n'est le premier il est sans doute le meilleur - à élever la pensée à son contraire : l'indéfinissable,...

le 8 oct. 2024

1 j'aime

La Bible
jbthedanger
10

Est-ce que John Fitzgerald Kennedy aurait laissé faire ça ?

Je sors de cette lecture et une question me taraude : jamais John Fitzgerald Kennedy n'aurait laissé faire ça c'est à dire qu'il y a 42 millions d'ukrainiens 70% sont des chrétiens et le pape RESTE...

le 9 oct. 2024

1 j'aime

Z comme Zemmour
jbthedanger
10

Un véritable "coup de poing" littéraire

J'ai ouvert ce livre sans ne trop savoir à quoi m'attendre. Parfois on ne choisit de ne pas choisir et de se laisser aller au libre cours de ses pulsions. Erreur ou salvation ? Je dois dire que cet...

le 8 oct. 2024

1 j'aime