Toujours compliqué de parler de quelqu'un qu'on aime. De peur de ne pas être à la hauteur de l’événement. D'en dire trop. Pas assez. Aujourd'hui, je vais vous parler d'un auteur qui m'est cher, Stefan Zweig. Enfin, je vais surtout me contenter de parler d'une partie de son oeuvre, les nouvelles, puisque qu'il a aussi rédigé de nombreuses biographies, essais, et autres écrits. Avant de me pencher dessus, je tiens à préciser que je n'ai pas encore lu son unique roman achevé La pitié dangereuse, qui tient dans ce pavé de 1200 pages, que je préfère garder au chaud pour me réconforter d'une mauvaise lecture.


Profondément humaniste, pacifiste, observateur de son temps, critiqué par certains comme étant un utopiste dans sa tour d'ivoire, Zweig est, à l'image de ses nouvelles, un esprit torturé, tourmenté par les événements de son temps. À tel point qu'il finira par se donner la mort, accompagné de son épouse, à la suite de son exil forcé au Brésil dû à la répression du régime Nazi. Loin des siens. Lui, l'Européen convaincu, qui rêvait de voir le vieux continent uni s'est résolu à se supprimer loin de sa patrie plutôt que voir une Europe déchirée par les deux guerres mondiales successives. C'est d'ailleurs à ce naufrage qu'il fera allusion dans bon nombre de ses écrits. Surtout il en parlera longuement et brillamment dans son livre testament, Le Monde d'hier. L'ironie de l'Histoire voudra deux choses : que l'Europe entamera son redressement peu de temps après son geste. Et que c'est un homme de sa patrie chérie, Hitler, qui sera la cause de la destruction de son Europe fantasmée et se donnera la mort de la même façon que lui, par empoisonnement. Il écrira une lettre d'adieu pour expliquer son geste.



(…) maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même.(…). Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux.



Ce qui fait le sel de Stefan Zweig, c'est sa manière inimitable de décrire avec grande justesse, en quelques phrases, quelques pages, la psychologie de ses personnages. Il possède un talent indéniable pour disséquer les sentiments. C'est ciselé, précis. Comme si chaque mot était savamment pesé afin d'en faire des descriptions parfaites. Ce ressenti, je ne l'ai eu qu'à de rares exceptions. Dans certains romans de Victor Hugo ou encore dans Martin Eden, de Jack London. Pourtant de base, les nouvelles ne m'ont jamais réellement attiré. Trop court pour laisser place à un traitement correct de personnages ou pour poser un contexte. Puis, j'ai découvert notre ami du jour.


Un thème revient quasi systématiquement dans ses nouvelles. À savoir, la passion. Cette force difficilement contrôlable qui anime tout un chacun et qui permet d'avancer, ou au contraire peut détruire. Dans ses nouvelles, on la retrouve sous différentes formes. Amoureuse dans Lettre d'une inconnue ou encore sous forme de possession matérielle dans La collection invisible.


En si peu de pages, il la sublime de manière déchirante dans Lettre d'une inconnue. Une passion destructrice, à sens unique. Une lettre testamentaire d'une femme éprise d'un amour sans limite pour un homme qui ignore presque tout d'elle. La façon qu'à Zweig pour retranscrire les émotions qu'éprouve la femme pour cet homme laisse à penser qu'il a vécu un amour similaire au cours de sa vie. Beaucoup trop de justesse pour que tout soit inventé. On a tous connu cet amour à sens unique qui blesse et laisse des marques. Zweig le multiplie par cent et nous l'envoie en pleine tête. Puissant. Certainement ma nouvelle préférée.



Ce n'est que quand je serai morte que tu recevras ce testament, testament d'une femme qui t'a plus aimé que toutes les autres, et que tu n'as jamais reconnue, d'une femme qui n'a cessé de t'attendre et que tu n'as jamais appelée. Peut-être, peut-être m'appelleras-tu, et je te serai infidèle, pour la première fois, puisque, dans ma tombe, je n'entendrai pas ton appel.



Cette passion on la retrouve de manière beaucoup moins appuyée et dévastatrice mais tout aussi touchante dans La confusion des sentiments. Une rencontre entre un jeune étudiant oisif, viré de chez lui, et un professeur. Tous deux se lient d’amitié et un rapport ambigü maître-élève naît. La plume de Zweig, toujours aussi aiguisée, nous embarque dans ce roman initiatique entre ces deux personnes qui n’étaient pas voué à se rencontrer. Et, même si sa fin est prévisible, que dire de ses dix dernières pages…



« Aucune souffrance n'est plus sacrée que celle qui par pudeur n'ose pas se manifester.



Je vais maintenant parler d’une autre nouvelle de Zweig que j’aime beaucoup, Le voyage dans le passé. Nouvelle méconnue, elle n’en est pas moins belle dans son oeuvre. Une histoire d’amour presque banal, un homme ambitieux qui tombe amoureux de la femme de son patron. Ils se retrouvent séparés pendant plusieurs années suite au départ de l’homme pour affaires. La guerre vient empêcher leur retrouvaille. Ils se retrouveront, différent, quelques années plus tard. Zweig parle de la résistance de l’amour à travers les âges, les conséquences du temps qui passe, qu’il est difficile de courber. Ce court récit rempli de nostalgie réussit à éviter la mièvrerie qui est caractéristique à ce genre de romance. De cette histoire, on peut faire un parallèle avec l'amour que Zweig pouvait avoir pour l'Europe. Zweig étant l'homme. L'Europe, la femme.



De nouveau ils se tinrent l'un en face de l'autre sans se faire signe ni se parler, et, s'ils s'embrassaient, ce n'était que du regard.



La peur est aussi un thème récurrent dans l’œuvre de Zweig. Pas la peur qu’on peut ressentir devant un film d’horreur. Plutôt la peur d’être démasquer après avoir commis l’impensable, celle qui tourmente au quotidien. Cette peur, c’est celle de cette femme infidèle qui semble tout avoir pour être heureuse mais qui se retrouve à tromper son mari, et qui en sortant de l’immeuble de son amant tombe sur une femme qui va commencer à l’extorquer sous peine de tout révéler. Dans La peur, Zweig nous transporte dans un tourbillon sans fin, et décrit merveilleusement les tourments et la lente descente aux enfers de cette femme.



Crois-tu… que ce soit… toujours la peur… qui arrête les gens ? Ne serait-ce pas parfois… la honte… la honte d’ouvrir son coeur… de le mettre à nu devant le monde ?



Zweig ne faisait pas que parler d’amour déchirant et passionné. Il l’a prouvé dans Le joueur d’échec. Surement son œuvre la plus connue, Le joueur d’échec est son dernier texte achevé. Son dernier souffle. L’histoire est simple, deux joueurs d’échec que tout oppose se retrouve sur le même bateau. Par un concours de circonstances, ils vont être amenés à se rencontrer et se jouer. D’un côté, le champion du monde incontesté, personne antipathique, anciennement l’enfant moqué de son village natal qui ne sait rien faire d’autre que jouer aux échecs. De l’autre Mr B, homme qui dit n’avoir jamais joué sur un échiquier. Homme devenu fou par la faute de l’Homme. Ce livre est rempli de symboles. Un livre à lire quand on aime l’Histoire.



Vouloir jouer aux échecs contre soi-même, c'est aussi paradoxal que de vouloir sauter par-dessus son ombre.



Voilà, entre autres, les nouvelles qui constituent cet ouvrage. Certaines sont tout aussi magnifiques que celles que j’ai brièvement présenté, comme 24 heures dans la vie d’une femme ou encore Brûlant secret mais je préfère garder la surprise à celles et ceux qui voudront se plonger dans l’univers de cet auteur. Seul ombre au tableau, dans ce recueil, j’en ai trouvé quelques-unes plutôt anecdotiques comme La ruelle au clair de Lune ou Rachel contre Dieu.


Vous l’aurez compris, Zweig, c’est le phare, la bouée de sauvetage après un naufrage littéraire. Maintenant il ne me reste plus qu’à chercher le reste de son œuvre, c’est-à-dire ses essais et ses biographies et ainsi je pourrai m’autoproclamer fan inconditionnel de Zweig. À moins que ce ne soit déjà le cas…

AlexandR_
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le 7 mai 2020

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