Le roman Rosa candida est mieux qu'un journal intime, il est le partage des pensées et émotions à tout instant d'un jeune Islandais de vingt-deux ans, Arnljotur, en proie, comme toute jeune personne, à des pulsions de vie et des pulsions de mort. Le lecteur est amené à contempler ses amours, ses passions, ses choix. La mort dans un accident de voiture de la mère du narrateur se fait sentir par élancements aigus, sans pathos, avec justesse et tendresse, miroir réconfortant de ce l'on peut soi-même ressentir à la perte d'un être cher. La paternité est un des sujets majeurs de Rosa Candida, incarnée par la figure du père d'Arnljotur, homme brisé, vieillissant, généreux et attentionné, et par celle d'Arnljotur lui-même.
A vingt-deux ans, il quitte son pays de lave et de landes, son père, son frère autiste et mutique, et sa fille, Flora Sol, fruit non désiré d'un amour fugace avec son amie Anna dans la serre de jardin où poussent les roses à huit pétales de feu la mère. La naissance suit la mort d'un an pile. Le corps, les roses, la mort. La trinité selon Arnljotur. On ne sait pas où l'avion l'emmène, ni quelle est cette ville aux femmes aux yeux marron, ni les pays qu'il traverse jusqu'à parvenir à sa destination, un monastère renfermant un jardin cité et décrit dans tous les livres de botanique.
Là commence doucement la deuxième partie du roman, l'établissement dans ce village reclus d'Arnljotur, travaillant comme jardinier chez les prêtres. L'un d'eux, frère Thomas, un cinéphile averti, partage ses soirées, ses liquoreux et sa bonne humeur avec lui. Un frère Thomas qui récite des Pater Noster tandis que le jeune papa téléphone à son père inquiet... Puis tout bascule, dans quel pétrin t'es-tu fourré, Arnljotur ? Anna arrive avec Flora Sol pour la lui confier durant quatre semaines.


Rosa candida est un roman délicieux, un livre « ami » qui nous confie ses joies, ses plaisirs, ses tracas en toute confiance, avec beaucoup de finesse, de tendresse et d’honnêteté. On rit sans s'y attendre auprès de lui, on peut parfois se laisser aller à l'émotion, en délicatesse. Les images sont colorées, élégantes, remplies de bonté, je dirais que c'est un roman à l'écoute des émotions humaines, jamais totalement raisonnables. Heureusement.



Papa dirait : On ne va pas loin avec des rêves, mon petit Lobbi.
Maman, elle, aurait dit : Il faut poursuivre ses rêves.



Point ZULMA : Il y a chez la grande romancière islandaise un tel emportement rieur que l’on cède volontiers à son humour fantasque, d’une justesse décapante mais sans cruauté, terriblement magnanime. Vrai bain de jouvence littéraire, son œuvre ressemble à la vie.
Auður Ava Ólafsdóttir est née en 1958 et vit à Reykjavík.



-C'était comment, de recevoir un enfant ? demande ma voisine dans la voiture.
- Surprenant.
- Qu'est-ce qui t'a surpris ?
- On pense à la mort. Quand on a eu un enfant, on sait qu'on mourra un jour.



J'ai été surprise par certaines remarques et interprétations du livre, très différentes des miennes.
Du sexisme ?! Il s'agit d'une femme écrivain qui laisse s'exprimer un jeune homme, en pleine « ébullition hormonale », un jeune garçon qui trouve belles les femmes. Anna, malgré sa maternité, continue ses études et son master en génétique, lui abandonne les siennes. Il a toujours vécu comme un jeune enfant, elle se débrouille seule et assume ses choix sans rien imposer au père de sa fille. C'est elle qui décide de vivre seule, elle n'a pas besoin de lui. Chacun des personnages féminins de Rosa Candida paraît parfaitement libre de ses choix, comme par exemple la « future vedette de cinéma » ou encore l'amie qui l'héberge après son hospitalisation. En quoi évoquer la sexualité d'un homme et ses penchants pour les femmes est-il sexiste ? Par ailleurs, ce sont ses pensées intimes, celles qu'il ne livre à personne, celles qu'il cache. Face aux femmes, il ne se comporte pas comme un macho libidineux, loin de là : même le prêtre se prête à croire qu'Arnljotur aime les garçons !


De l'homophobie ?! Là encore, « les autres », celles et ceux qu'Arnljotur croise sur sa route finissent par croire que notre héros ne s'intéresse pas aux femmes. Évoquer l'homosexualité éventuelle d'un personnage est-il de l'homophobie ? Au contraire, chacune et chacun sont surpris par ce jeune garçon qui ferme les yeux sur les jolies biches. Dans le même lit que son amie, mignonne et désirable, il reste distant, ne succombe pas à ses envies, sans la moindre épée entre les deux corps. N'est-il pas légitime qu'elle se pose la question, et n'est-ce pas très loin de l'homophobie qu'elle la lui pose ? L'homosexualité est possible, chaque personnage (et même le lecteur) l'envisage face à ce garçon. Eh, pourquoi ne le serait-il pas ?
Du validisme ? (validisme = c'est une forme d'oppression basée sur le handicap, mental ou physique.) Josef, le frère jumeau du héros, est mutique, il ne parle pas, il est très différent des autres parce qu'il ne s'exprime pas comme eux. L'autisme est évoqué, mais le narrateur n'a pas plus d'explication. Certains mots utilisés sont surprenants, « idiot » par exemple ; j'imagine aussi qu'il faut prendre en compte le travail de traduction de l'islandais au français, le mot original comprenait peut-être la notion d'unicité, de simplicité, de particularité, retrouvée également dans les mots « idiome » et « idiosyncrasie ». Si le vocabulaire peut surprendre, la définition médicale « d'idiot » est pourtant la suivante : « MÉD. (Personne) dont l'âge mental ne dépasse pas deux ans, le quotient intellectuel 20, et qui est incapable de parler. », ce qui semble ici approprié. De même, le mot « dément », de de + mens a pour définition : « un état désignant la perte partielle ou totale des capacités cognitives d'un individu. » C'est aussi le cas pour le personnage de Josef. Sans s'attarder davantage sur ces infimes détails de sémantique, Josef est l'enfant préféré du père, celui qui plaît et qui est beau, l'innocence éternelle, incapable de nuire, l'enfant de l'amour et du bonheur, celui qui illumine les journées familiales, qui ne ment jamais, celui qui a la plus forte capacité d'adaptation, c'est encore lui qui permet au père de se relever de sa douleur, tandis que le « valide » fuit, abandonne les siens, se replie sur lui-même. L'un collectionne les timbres, passion rigoureuse, l'autre les roses, éphémères. Josef tombe même amoureux et vit une relation amoureuse stable, contrairement encore à Arnljotur... Pour finir, encore une fois, évoquer des différences cognitives, des états mentaux différents n'est pas les dénigrer ; ne pas les taire c'est ne pas les ignorer, c'est les accepter dans notre monde.


Rosa candida est d'une grande beauté et d'une bonté absolue.

smilla
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le 24 avr. 2017

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