(Je précise que j’ai lu la magnifique édition reliée et illustrée par Gérard Dubois, parue à La Table Ronde en 2022)
Maurice Genevoix n’est pas que l’écrivain-soldat que l’on connaît aujourd’hui, tel que la Première Guerre mondiale en a créé (Barbusse, Dorgelès…), l’auteur de Ceux de 14. Il fut aussi lauréat du Goncourt en 1925 pour Raboliot, un roman qualifié de « régionaliste », commit la trahison ultime en intégrant l’Académie française en 1946 (dont il fut même Secrétaire perpétuel), et fut finalement panthéonisé en 2020. Goncourt-Académie-Panthéon, voilà un triplé qu’il est le seul à détenir ! Même Victor Hugo, primus inter pares des Grands-Hommes-à-la-Patrie-Reconnaissante, intégra difficilement l’Académie après quatre candidatures, et n’eut jamais le Goncourt… (parce que le prix n’existait pas encore, certes, mais cela n’enlève rien à Genevoix ; par ailleurs, les voies de l’Académie Goncourt étant impénétrables, rien ne dit qu’Hugo eût obtenu le prix)
Je découvre donc son œuvre littéraire ni par la Grande Guerre ni par le Goncourt, mais par… un chat. Rroû est très authentiquement l’histoire d’un chat. Anne Wiazemsky le qualifie de roman d’apprentissage dans sa préface ; c’est tout à fait cela. Recueilli chaton par des humains, Rroû vit à leurs côtés, découvre la ville, les suit à la campagne, et apprend ce qu’est la liberté : l’acceptation de la mort. Comme dans un roman classique, il connaît des péripéties : il s’enfuit, protège la chatte Câline des deux voyous locaux, Raies Jaunes et Nez Noir, s’aventure dans la forêt, est chassé… Il vit. C’est un hommage magnifique aux chats, leur sens de la liberté, leur Dasein.
Non, ce n’est pas dormir que de m’abandonner ainsi à la caresse de l’air bougeur, à sa clarté changeante où les feuilles font un bruit d’eau qui coule. C’est savourer lentement la jouissance de vivre, mon engourdissement consenti, ma molle nonchalance que brûle peu à peu le soleil montant sur les toits. (p. 26)
Le style de Genevoix est d’un classicisme d’un autre temps, absolument délicieux à lire aujourd’hui. Si, en 100 ans, le niveau des noms des chats a baissé (Rroû, nom sublime mais sans doute moins donné aujourd’hui que Caramel ou Tigrou – oui, c’était mieux avant), notre rapport enamouré et gâtifiant avec eux est resté le même.
Quand on l’a choisie librement, il est doux d’accepter l’amitié d’un humain, ses prévenances, sa sollicitude. Rien n’oblige d’ailleurs à les subir continuellement : on les sait, on a la certitude qu’on les trouvera fidèles sans défaillance, toutes les fois qu’on daignera en accueillir l’hommage extasié. (p. 35)