Un homme qui cherche son passé pour se découvrir lui-même.
Une errance dans les rues de Paris transformée en paysage symbolique et mental.
Une sorte de langueur qui baigne l'ensemble, dans une atmosphère qui parvient à être à la fois réaliste et onirique.
Pas de doute, nous sommes bel et bien chez Modiano.
Plus je me plonge dans l'univers de Modiano, plus j'apprécie. C'est un monde reconnaissable entre tous, où les romans s'associent pour créer une œuvre dense et d'une cohérence rare.
Ici, donc, une fois de plus, nous avons un homme qui parcourt de labyrinthe des rues parisiennes à la recherche de son passé. Il s'appelle Guy Roland et a travaillé dans un cabinet de détective privé. Mais il sait que ce nom n'est pas le sien. C'est d'ailleurs la seule chose qu'il sache sur lui-même : il a oublié son identité, son passé, etc. Et le voilà parti à sa propre recherche.
Le roman est clairement divisé en deux parties : dans la première, Guy Roland va assumer diverses identités. Chaque fois qu'il trouve un nouvel interlocuteur, il pense être quelqu'un d'autre. N'ayant aucune identité, il prend toutes celles qui se présentent devant lui. Mais finalement, ne rien avoir ou avoir trop, c'est la même chose.
Et c'est bien là un des thèmes du roman : n'être rien. L'ancien patron de Guy lui parle un jour de cet homme des plages qui se plaisait à apparaître sur les photos d'inconnus ; personne ne savait qui il était, et ces photos constituaient la seule preuve que cet homme ait réellement existé.
nous sommes des hommes des plages, nous n'existons que par les infimes traces de notre passage que nous laissons dans le sable, et qui s'effacent tout de suite.
C'est ce caractère éphémère de l'existence qui hante Guy Roland dans sa recherche. Il enquête en pensant que tout le monde garde des souvenirs précis de tout le monde, mais il se rend compte que, de nous, il n'existe que des traces qui disparaissent bien vite. Il tente de raviver les souvenirs comme on souffle sur des braises pour les rallumer.
Peur de disparaître à son tour ? Guy est un personnage qui a déjà disparu. Ses traces se sont déjà effacées, y compris pour lui-même, puisqu'il est amnésique. Il tente de retrouver ses propres traces sur le sable. Mais ces souvenirs lui sont refusés, comme cette chambre du jeune Freddie auquel il voudrait tant accéder, mais qu'il ne peut deviner que de loin, puisque tout l'étage est mis sous scellés.
Autre image forte, celle du labyrinthe du château, comme le labyrinthe des pensées et des souvenirs.
Un autre épisode très fort symboliquement donne une juste idée du roman. Sur un numéro de téléphone qui n'est plus attribué, des fantômes de voix s'appellent et se répondent. Des personnages fantômes, à la recherche des autres. Le roman est peuplé de fantômes, et ils ne sont pas tous morts. Ils sont justes oubliés, recasés dans un coin de mémoire, sous des tonnes de poussière. N'existant plus que grâce à de vieilles photos jaunies (leur trace dans le sable) : épisode récurrent du roman, où l'on confie à Guy des photos, dans une boîte ou sur un magazine. Tout ce qui reste des vies.
Et à Guy, il lui reste quoi ?
Dans la seconde moitié du roman, Guy semble avoir trouvé qui il était : l'improbable Pedro MacEvoy. Mais l'ambiguïté, un des maîtres-mots de Modiano dans ce roman, subsiste. Est-ce vraiment sa réelle identité, ou est-ce simplement un personnage qu'il s'est choisi ?
Et tous ces épisodes du passé qu'il nous décrit, sortent-ils de sa mémoire ravivée, ou de son imagination ?
Une fois de plus, tout la réflexion sur le passé, la mémoire, les souvenirs, ressurgit dans ce roman court (comme d'habitude) mais dense. Un roman d'une écriture simple mais qui pose des questions essentielles sur ce qui constitue notre identité, à travers un récit passionnant en forme d'enquête.
[8,5]