Le narrateur vient de perdre son emploi de détective dans une agence que son directeur a fermée pour cause de retraite. Depuis 8 ans, Hutte le patron a permis à cet homme de mener une existence normale sous l’identité de Guy Roland. Mais c’est une identité d’emprunt. En réalité, Guy Roland est amnésique depuis bien plus longtemps et il ne se rappelle ni son nom ni son passé. Alors, au lieu de chercher un nouvel emploi, il va chercher à combler le vide de ses origines.
Commence alors une enquête typiquement « modianienne » où le narrateur va de rencontre en rencontre, dans l’espoir de retrouver quelqu’un qui le reconnaîtrait et pourrait lui dire qui il est, ce qu’est son passé. Il espère retrouver ses racines pendant que le lecteur cherche à comprendre le pourquoi de cette amnésie.
Le matériel (bottins), les relations (l’ancien patron et ses connaissances) ainsi que la connaissance des pratiques du métier d’enquêteur lui permettent de remonter des pistes, parfois ténues voire incertaines. Le narrateur s’imagine rapidement dans la peau d’un homme visible sur une photo. A ses interlocuteurs il demande régulièrement s’ils ne lui trouvent pas une ressemblance. Peut-être bien, mais tout cela est loin.
Tout s’est joué pendant la guerre. Le narrateur a fui Paris avec sa compagne. Mais un imprévu est venu déjouer un plan apparemment simple.
Patrick Modiano a obtenu le prix Goncourt 1978 pour ce roman qui est son sixième publié. Sa marque de fabrique est là. La recherche des origines et des souvenirs un peu flous. Cela convient parfaitement à une telle histoire. L’amnésie est justifiée même si c’est au lecteur de reconstituer les détails avec les quelques informations dont il dispose. Par contre, la lente remontée des souvenirs manque un peu de crédibilité, même si elle est présentée comme déclenchée par une vibration dans les lieux de la ville fréquentés autrefois, un peu comme le fait Woody Allen dans « Minuit à Paris ». Par bribes, le narrateur réussit à faire resurgir du passé tout un monde de personnes venues d’un peu partout et ensuite éparpillées au quatre coins de la planète. Paragraphe typique de l’état d’esprit :
« Un instant, mes pensées m’ont emportées loin de ce lagon, à l’autre bout du monde, dans une station balnéaire de la Russie du sud où la photo avait été prise, il y a longtemps. Une petite fille rentre de la plage, au crépuscule avec sa mère. Elle pleure pour rien, parce qu’elle aurait voulu continuer de jouer. Elle s’éloigne. Elle a déjà tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d’enfant ? »
Cet extrait illustre à merveille la beauté du style de Modiano sans pour autant révéler la clé de l’intrigue. Une remarquable économie de moyens, un style d’une incroyable sobriété, mais quelques phrases qui en disent long. (Re)lu en 24 heures, ce livre est de ceux qui diffusent un charme qui résiste à l’analyse. Une immense nostalgie et des zones d’ombre pour une foule de détails dont le lecteur tente de faire un tout homogène. Mais la réalité est évidemment beaucoup plus complexe et le livre conserve sa part de mystère.