A la naissance de leur troisième enfant, les parents apprennent bientôt qu’une anomalie génétique le condamne à brève échéance, après quelques années d’une existence quasi végétative. Dans leur maison cévenole, la vie s’organise autour du séisme qui vient de creuser une faille invisible entre eux et leur entourage. Chaque membre de la famille « s’adapte » à sa manière. Le fils aîné se sent investi d’une responsabilité protectrice et, devenant l’ange gardien de l’enfant, sombre peu à peu avec lui. La cadette, toute à sa rage de voir l’énergie et la joie de vivre des siens littéralement siphonnées par ce petit frère, s’installe dans le rejet et le besoin de prendre le large. Enfin, le benjamin, né sur le tard, grandit dans l’ombre d’un fantôme et le souci de « réparer » ses parents.
Quand vous naît un enfant ou un frère handicapé, et même si pour vous rien ne sera jamais plus comme avant, la terre ne s’arrête pas de tourner. Désormais, il y a aura le monde ordinaire, qui continuera sans vous, et votre petit cercle, isolé parce qu’en rotation autour de son propre centre de gravité. Pour ses membres, c’est un complet recadrage qui marque la fin de l’insouciance et trace une frontière invisible avec les autres. Chacun assume avec les moyens du bord, et d’une façon chaque fois très personnelle, mais une constante perdure : l’amour pour cet enfant pas comme les autres.
Cet amour-là, avec ce qu’il apporte et ce qu’il coûte, irradie le texte, qui, raconté comme une tragédie grecque par les immémoriales pierres des Cévennes, sans prénoms, avec pour personnages centraux l’enfant, l’aîné, la cadette et le dernier, et en périphérie les parents et la grand-mère, prend la portée universelle d’une magnifique histoire d’humanité s’efforçant sans bruit de survivre à la fatalité. Ici, pas de tabous, ni de non-dits. Pas non plus de sentimentalisme, ni de pathos. Mais la narration sensible et délicate, impressionnante de vérité, des impacts et des réactions, en bref des bouleversements profonds au sein de la fratrie dans son face-à-face avec la différence, le handicap et la mort.
Clara Dupont-Monod pénètre à ce point son sujet et fait preuve d’une telle finesse psychologique que l’on ne peut douter de la part autobiographique de son récit. Magnifique et bouleversant dans l’évidence de sa sincérité sobre et pudique, ce livre très personnel impressionne par sa portée si manifestement universelle. Coup de coeur.
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