Admirable nouvelle, qui put me sauver, deux heures durant, de l'ennui mortel d'un cours d'histoire !
Tu m'emportas, sur les ailes de ton fantasque style - alors pourtant que ton auteur se trouvait encore dans sa période médanienne et odieusement naturaliste - dans la curieuse tourmente des conscrits de 70. Aux côtés de ton narrateur, Eugène, et de son camarade Francis, je pus vivre la stupeur des trajets ferroviaires nocturnes vers une campagne fangeuse qu'éclairaient aux loin les éclairs de la canonnade, et l'ennui des hospices où nombreux étaient les malades qui attendaient, atteints de diverses maladies mais non blessés par la guerre, que quelque chose - n'importe quoi - se passât pour tromper leur ennui, dusse cet évènement salvateur être le retour au feu ; je pus m'enfuir avec vous de cet hospice, le temps seulement de faire bonne chère, de visiter des catins fort laides mais en ce moment bien nécessaires ("un trou c'est un trou", avait dit, je me le rappelle, quelque énergumène à son insu disciple de Diogène de Sinope), et de voir de lointaines connaissances d'Eugène qui pouvaient peut-être le faire retourner à Paris ; je fis tout cela, et bien d'autres choses encore.
La cloche sonna, me rappelant dans cet autre roman que d'aucuns nomment le réel, et j'eus à peine le temps d'achever ce délicieux récit, lisant en hâte les deux pauvres pages qui me restaient dans les mains, avant de quitter cette salle vide, à la porte de laquelle attendait déjà un maître accompagné de son élève, dans l'évidente perspective d'interroger ce dernier à l'oral.