Saga est un roman de Tonino Benacquista, publié en 1997 dans lequel nous suivons quatre personnages, Louis, Mathilde, Jérôme et Marco le narrateur, qui n’ont à première vue rien en commun à part le fait que ce sont des scénaristes ou des écrivains qui ne connaissent pas le succès qu’ils pourraient connaître. Ils sont alors appelés et chargés de monter un feuilleton au nom de Saga, qui de base ne se destine qu’à remplir les quotas de la chaine, « ces conneries de quotas de création française » eux mêmes contrôlés par le Conseil supérieur de l’Audiovisuel. Il n’y a aucun véritable enjeu concernant leur feuilleton qui « n’est pas destiné à être vu » puisqu’il passera à quatre heure du matin. Leur unique consigne est : « Faites n’importe quoi, absolument n’importe quoi ». On peut noter qu’il y a un décalage important. On pourrait penser que les buts premiers de la télévision sont d’abord d’informer les gens, les distraire, leur apprendre des choses, « plaire » comme pense Marco. Ici l’auteur critique cette idée de la télévision, vue de l’autre côté de l’écran où l’enjeu principal est de gagner de l’argent efficacement, notamment avec les audiences et les publicités. Ces publicités qui d’ailleurs permettent d’appeler le citoyen à la consommation, mais ça c’est une autre histoire.
L’aspect marketing est aussi bien présent, en lien avec la Saga, notamment lorsque des produits dérivés du feuilleton Saga sont commercialisés, comme par exemple un livre. L’idéal de « l’homme Saga » y est d’ailleurs dépeint. L’importance de l’argent est encore une fois ici évoquée par l’auteur.
On assiste donc au quotidien de ces quatre personnages dans la création de leur série, dont le succès dépasse rapidement les attentes. En fait, cela devient un véritable phénomène. Saga s’impose progressivement comme une drogue, les gens ne peuvent plus s’en passer. Ce roman met en lumière les impacts que peut avoir une simple émission de télévision : les personnages fictifs de la série commencent à faire parti du quotidien des spectateurs, qui deviennent dépendants. Ils pensent comme eux, vivent comme eux, iront jusqu’à se parfumer de vanille comme le héros de la fiction. Un passage dans le livre m’a marqué, au moment où Marco prend le bus, il entend des individus qui parlent de la série. Et en fait ils discutent à propos des personnages de la série, mais ce qui le choque sur le moment c’est qu’ils en parlent comme si c’était des êtres réels, qu’ils connaissaient en vrai. En fait la série est rentrée dans le quotidien des gens.
Ces effets sont surtout marqués et largement exagérés vers la fin du livre. La fin de la série ayant déplu, l’impact sur les spectateurs est énorme : vide, sentiment d’avoir perdu quelqu’un de proche, manifestations, appels qui augmentent à SOS Amitié, et tout cela mène à un réel désir de trouver les scénaristes pour leur faire changer la fin de la série : kidnapping, procès (par les fans qui sont allés jusqu’à créer un musée avec les objets phares du feuilleton), menaces… Les réactions sont largement exagérées par l’auteur dans le but de représenter l’importance que peut avoir une émission de ce genre.
Enfin, ce livre permet aussi de voir le quotidien d’un scénariste. Les quatre personnages vivent à fond pour leur feuilleton. Nous lecteurs, étant en focalisation dans la tête de Marco, on a pu voir que toutes ses pensées étaient tournées vers Saga, ainsi que par la perte de Charlotte, sa petite amie, d’ailleurs causée par Saga.
Ici, l’image de la télévision n’est pas forcément très positive. En effet, son but premier, on l’a bien vu avec ce que recherche avant tout une chaîne de télévision, n’est pas de rendre les gens heureux ou plus intelligents. Ceux ci deviennent presque hypnotisés, dépendants, ils ne peuvent plus s’en passer, à l’image de Tristan, le frère de Jérôme qui passe des journées et des nuits entières à la regarder. Ce n’est pas le cas de tous bien sûr, chacun entretien un rapport particulier avec la télévision, mais pour beaucoup la télévision a des effets importants, comme on le voit avec la fin du roman. D’ailleurs, le lecteur se remet en question à la lecture de ces pages. À l’exagération de ces réactions, on se demande si on pourrait réagir de la même façon ? Si on aussi dépendant et attaché à ces fictions ? De plus, j’ai aussi été déçue de ne pas avoir la seconde version de l’épisode final. Une bonne partie de la fin traine sur cette histoire, on suit Marco aux quatre coin du monde pour cet épisode, et le fait de ne pas connaître la version c’est un peu frustrant. Sûrement une volonté de l’auteur qui nous laisse imaginer notre propre fin, pour qu’il n’y ait pas d’autres revendications à faire aux scénaristes. C’est subtil ici aussi, mais un peu frustrant. Et c’est justement parce que ca nous frustre ici que Tonino Benacquista démontre comment on s’attache rapidement à la fiction. En temps que lecteurs de Saga, qui raconte l’impact de la série Saga, on devient nous même impactés par le livre en lui même. On tombe aussi dans le piège de la fiction de la même façon que les fans du feuilleton.
Ce livre, reste aussi très actuel. On assiste aujourd’hui, et notamment avec l’essor remarquable d’internet, l’importance que prennent les films et séries qui sont de plus en plus nombreux et accessibles de plus en plus facilement.
Livre à lire, vraiment.