«C'est Sanctuaire qui valut à Faulkner sa réputation d'auteur ténébreux et scandaleux. L'écrivain n'a-t-il pas tenu à inventer, selon son expression, "l'histoire la plus effroyable qu'on puisse imaginer" ? En réalité, il s'est inspiré d'un fait divers, survenu dans un night-club de la Nouvelle-Orléans : le viol d'une jeune fille avec un "objet bizarre", devenu un épi de maïs dans le roman, suivi d'une étrange séquestration. Dans un climat de violence, de bassesse et de corruption, remarquablement diffus et persistant, la jeune fille subit une sorte d'initiation au mal, à travers laquelle Faulkner livre son interrogation sur l'homme, avant de l'élargir et de la faire porter sur la société tout entière.»
"Sanctuaire", c'est l'histoire de différents parcours "manqués", ou la lente descente aux Enfers de personnage cultivant l'art du "presque"...Après un accident de voiture, Temple et Gowan, jeunes étudiants, pas vraiment en couple, et presque bien sous tous rapports, cherchent de l'aide au près d'une maison isolée, qui se révèle être le repère d'un groupe de trafiquants d'alcool.Seule femme au milieu d'hommes plus ou moins dangereux, dont Goodwin, son mari, amoureux mais presque infidèle, Ruby tente vainement de faire comprendre à Temple les dangers qu'elle encourt au milieu de tous ces personnages rustres, sans que celle-ci ne comprenne les risques et les violences que déchaînent peu à peu ses minauderies. Alors que l'un d'entre eux, Tommy, est tué, Temple est enlevée par Poppeye, et commence alors pour elle le début d'une nouvelle vie. Victime d'un viol "raté", elle suivra son ravisseur, presque volontairement, de villes en villes, jusque dans une maison de passe, et finira par embrasser bon gré mal gré le visage de ce nouveau personnage qu'elle est devenue, en s'énamourant d'un autre malfrat.Alors que Poppeye est arrêté et pendu, pour un crime que paradoxalement cette fois-ci il n'a pas commis, nous comprenons "Sanctuaire" comme définitivement le portrait d'une société en mouvement, sous ses allures figées et arides.Si par exemple les Noirs sont toujours désignés comme les accusés idéaux d'un état corrompu, le couple que Goodwin, emprisonné à tort pour le crime de Tommy, forme avec Ruby, n'en est pas moins l'un des plus forts.Et Ruby, l'ancienne prostituée, qui rudoie les manières polies et policées de Temple, s'avère être finalement un personnage infiniment plus fort et poétique que celui de la jeune fille.
Si aucun de ces personnages, ni aucune de ces situations, n'est pleinement entière, "Sanctuaire" n'en est pas moins un roman fort et étouffant, qui soulève une nouvelle fois le rideau des moeurs de ces états sudistes conservateurs, et cela sans aucune concession."Sanctuaire" n'est pas le roman de la pureté, ou de la sainteté, mais plutôt son linceul. Cette affirmation, en rien nihiliste, est celle d'une force réaliste et lucide, seulement jamais là où on l'attend, au sein d'une société pesante et asphyxiée.
Emma Breton
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