Savages
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Savages

livre de Don Winslow (2010)

Se méfier des prescriptions de France Inter. Quand Léa Salamé présente Hans Kieffer comme l'un des plus grands plasticiens vivants, je me félicite, en allant voir le film que lui a consacré Wim Wenders, d'avoir écouté ma radio préférée ce jour-là. Lorsque Nicolas Demorand qualifie Don Wislow, qu'il reçoit à l'antenne, de l'un des plus grands écrivains américains, j'ai envie de voir de quoi il retourne. Mauvaise pioche.

Il est question d'un trio formé d'un adepte de l'ultra violence (Chon), d'un businessman habile moins porté sur les solutions expéditives (Ben) et d'une chaudasse dingue des deux premiers (Ophélie, dite O). Ce trio, qui rappelle par sa structure celui du film Butch Cassidy et le Kid en plus corsé, va se confronter au redoutable Cartel de Baja, désireux de mettre la main sur leur petite entreprise de beuh qualité supérieure qui ne connaît pas la crise. Pour faire plier nos deux durs, le Cartel va capturer O. Le gang est dirigé par une femme, c'est plus épicé, Elena, impitoyable parmi les impitoyables, dont le fils Lado sert d'exécuteur des basses oeuvres, avec la cruauté voulue.

Allergiques au male gaze s'abstenir ! Chez Winslow, la valeur d'un mec se mesure à la rigidité de sa queue et à son aptitude à la castagne. Celle d'une nana à ses attributs érotiques. Le tout sur fond d'apologie de la drogue. Cela nous vaut des scènes de cul copieusement lestées de clichés. Page 135 :

(...) ça ne lui ressemble pas du tout, Chon, cet amour oral, d'habitude, comme mec, il est plutôt du genre je t'enfile direct [oh là là, "je t'enfile direct"...] mais là, il prend son temps et fredonne des petits airs au creux d'elle (Petite Miss Echo), presse les doigts sur son point gonflé comme une éponge, et elle se tord et se tortille et s'entortille, halète et gémit et roucoule et jouit et jouit et jouit (O !) avant de rouler sur le flanc, lui arrache son jean, agrippe sa queue et la met à l'intérieur d'elle (où est sa place).

Répéter un verbe (et jouit et jouit et jouit) est à mes yeux le signe d'une impuissance littéraire. Quant aux verbes haleter et gémir, tout écrivain un tant soit peu ambitieux devrait se les refuser lorsqu'il s'attaque à la description d'un coït.

Les tics de langage pullulent. Par exemple "genre". Page 134 : "Et la baise est sans fin, chaque nerf de la peau comme un centre de plaisir frissonnant, genre, si elle vous frôle la cheville, vous gémissez". Page 143 : "ou si les choses viraient personnelles genre corps à corps". Page 265 : "Fin de l'entretien. Genre : la ferme, c'est emballé, et la marchandise avec". J'ai l'impression d'entendre deux ados qui discutent dans le bus. Affligeant. Parfois, on emprunte à Audiard son façon puzzle, associé ici à multi-pièces, ce qui ressemble fort à un pléonasme, non ? Mais Winslow n'a cure de ce genre de subtilité.

Savages, c'est de la littérature frimeuse. S'exprimer par phrases tronquées, manier la formule lapidaire, le sigle malin, ne font pas un style. On peut ouvrir le roman au hasard. Par exemple, page 153 :

Chon divise les habitants de la planète en deux catégories :
Lui, Ben et O
Tous les autres.
Il ferait n'importe quoi pour Ben et O.
Pour Ben et O il ferait n'importe quoi à Tous Les Autres.
C'est aussi simple que ça.

Parfois, c'est un chapitre qui se limite à une phrase. Exemple, le 204, page 256 :

Ouais, tout baigne pour Ben.

On sent l'auteur très content de ses petits effets. Pour moi, c'est de la poudre aux yeux, si j'ose dire dans le présent contexte.

Alors, d'accord, ça se lit bien comme tout thriller qui se respecte, j'ajoute un demi-point pour ça. Addictif, mais pas comme la beuh premium que commercialisent Ben et Chon. Plutôt de la mauvaise came. L'abus est sans doute nocif. J'arrête tout de suite.

5,5

Jduvi
5
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le 24 mai 2024

Modifiée

le 24 mai 2024

Critique lue 20 fois

Jduvi

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