1959 : le très sérieux Spiegel consacre sa couverture et un article de quinze pages intitulé « , ; - :!- :!! » à un monumental chef d'œuvre. Manchette lui-même sert d'attaché de presse et note : « passé les quatre ou cinq premières minutes de surprise, la formidable limpidité ». Avec un monstre du calibre de ces "Scènes de la vie d'un faune", il convient en effet de réapprendre à lire. Schmidt maltraite la langue traditionnelle, écartèle la syntaxe, coupe, tranche, pare au plus pressé, saute dans des raccourcis verbaux et s'impose comme un des plus grands créateurs de formes d'après-guerre. Ses fulgurances poétiques, son savoir encyclopédique, son efficacité sur trois mots comme autant de coups de poignards, son humour grinçant, cynique, haineux, sont omniprésents dans les "Scènes..." et en font en quelque sorte le cousin (germain) de Mister Pynchon.
Soit quelques mois en 1939 de la vie d'Heinrich Düring, petit fonctionnaire à l'esprit brillant obsédé par l'étude de la cartographie, et témoin privilégié de la montée du nazisme comme une menace sourde. Schmidt prend soin de découper son texte comme on coupe le temps, en tranches fines, de petits paragraphes mémoriels comme des éclats pour parvenir ensuite à représenter à sa manière une carte spatio-temporelle de la guerre : les petits carrés que délimitent les cartes de Düring aux 1/1000ème trouvent leur équivalent dans les petits paragraphes de quelques mots qui sont les impressions fugitives de Schmidt pendant la guerre ! Comme une forme faisant papier calque avec l'obsession même de son personnage !
Dans son nouvel écrin (traduction audacieuse et nécessaire de Nicole Taubes), c'est le papa du post-modernisme qu'il convient de (re)découvrir.