Cet ouvrage classique est une synthèse : synthèse des idées (l’enracinement, le fédéralisme, le nationalisme, la république, le socialisme, la démocratie), synthèse des formes (articles, discours, correspondance, carnets de route), synthèse d’une pensée rigoureuse et féconde qui révèle un Barrès plus éloigné que jamais des caricatures faites de lui par ses adversaires. On ne trouvera dans ces pages ni raideur dogmatique ni froideur journalistique, mais un verbe enlevé, élégant, une chronique de son temps qu’il déroule en une multitude de tableaux, dans un style souvent plus pictural que réellement littéraire. Un Barrès déroutant, qui nous rappelle Edouard Berth lorsqu’il articule sa critique des intellectuels, qui rend justice à ses adversaires lorsqu’il complimente Anatole France, qui nous étonne par sa défense de l’intégrité identitaire des peuples colonisés, qui nous émeut lorsqu’il part en pèlerinage sur les terres de Chateaubriand ou qu’il parcourt en méditant les anciens champs de bataille napoléoniens sur les traces de son grand-père grognard.
« Avec un peu de suite, quelques centaines de jeunes nationalistes suffiront à remettre l’intelligence de ceux qui s’intitulent “intellectuels” en accord avec l’instinct des humbles – de ces humbles qui viennent de sauver la patrie quand nos philosophes patentés la trahissaient. » Il vitupère Zola, empêtré dans sa foi positiviste qui, « en nous redressant selon son type, nous froisse et excite nos répugnances secrètes », et Jules Guesde qui, par son internationalisme, se fait le complice des économistes libéraux. Les événements du temps prennent chair à travers l’étude des physionomies de ses acteurs : les dîners de l’Appel au Soldat qu’il préside, l’affaire Dreyfus, le litige de l’Alsace-Lorraine, la nostalgie amère du boulangisme, le programme de Nancy sur fond de protectionnisme, les procès, les meetings, la tentative de coup d’Etat aux côtés de Déroulède après la mort du président Félix Faure… « Avec une chaire d’enseignement et un cimetière, on a l’essentiel d’une patrie » écrit-il.
Les textes concernant les questions du socialisme et de la décentralisation ne manqueront pas de retenir l’attention du lecteur tant cette réflexion sort des sentiers battus de l’histoire du nationalisme français. Il apparaît en effet difficile, lorsqu’on a vraiment lu Barrès et particulièrement cet ouvrage, de continuer à le considérer comme un auteur d’extrême droite !