Anibal, le narrateur, ne parvient pas à régler la question du père. Un père universitaire érudit et célèbre, spécialiste de l’antiquité qui lui a donné le prénom d’un héros carthaginois des guerres puniques. Un père qui n’a eu de cesse de l’humilier et de le rabaisser, un père qui, il en est persuadé, ne l’a jamais aimé. Et même s’il est mort depuis deux ans, la cicatrice est toujours ouverte. Alors qu’une fondation gère l’héritage paternel considérable, le fils, devenu alcoolique, vit dans une pension minable avec un vieillard grabataire comme colocataire. Son seul legs se résume à trois boîtes contenant beaucoup de paperasse dont une lettre lui accordant l’intégralité des biens de son géniteur, mais uniquement s’il parvient à remplir des conditions très contraignantes. Comme un ultime affront, une dernière façon de l’humilier et de le conforter dans sa médiocrité.
J’ai cru au départ à une variation de plus sur les relations père-fils compliquées. Mais c’est beaucoup plus fin. J’ai aimé chez Anibal cette légèreté de ton, cette amertume lucide et cette forme d’autodérision permanente qui, au final, se révèle touchante. Il y a bien quelques digressions à première vue pas indispensables mais l’introspection de ce pauvre homme se devait de passer par quelques séquences plus psychologiques que rocambolesques. La galerie de personnages entourant notre anti-héros vaut son pesant de cacahuètes, de l’avocat retors à l’infirme nymphomane en passant par l’ex-petite amie ayant réussi une brillante carrière.
Difficile de grandir à l’ombre d’un père à l’aura écrasante. Le manque de reconnaissance, la confiance en soi qui s’effrite, l’impossibilité d’assumer un nom trop lourd à porter. Finalement, seul le deuil permettra de transformer la haine et la colère en une certaine forme d’empathie. Un roman à la fois drôle et grave à l’indéniable sens comique. L’occasion pour moi de découvrir la voix singulière de Pablo Casacuberta, un auteur uruguayen que je ne suis pas près d’oublier.