Coincé entre deux géants, l'Argentine et le Brésil, l'Uruguay cultive à la fois une modestie narquoise et une paranoïa méfiante face à ses encombrants voisins. Son cinéma, méconnu, est tout à fait singulier, nimbé d'un humour souvent noir (Whisky, Les toilettes du pape, Sale temps pour les pêcheurs, ...). Idem pour sa littérature, de Galeano à Mondragon en passant par Delgado Aparain. Pablo Casacuberta ne dépare pas le paysage avec son Scipion, récit très introspectif d'un homme, Anibal, écrasé par la figure d'un père célèbre et célébré, éminence incontestée de l'histoire du monde antique. Post mortem, cet ogre poursuit encore son fils, le ramenant à sa condition d'éternel raté, incapable de s'élever aux hauteurs atteintes par son géniteur. Scipion est un roman tragi-comique qui nous conduit dans les dédales des pensées et des sentiments d'Anibal aux prises avec une hérédité trop lourde à porter. Pour apprécier le livre il est nécessaire de se laisser emporter par le style de Casacuberta, à la fois visuel et extrêmement travaillé du point de vue littéraire. Son antihéros est parfois pathétique dans ses incurables faiblesses mais son évolution vers un équilibre existentiel vaut la peine de dépasser certaines descriptions parfois légèrement fastidieuses de ses états d'âme. La crue de la rivière, dans la dernière partie du livre, donne lieu à des scènes remarquables où le talent de Casacuberta s'épanouit particulièrement. Et si l'émotion est un peu bridée tout du long du roman, elle éclate enfin dans un très beau dénouement.