Pour sortir de l'atmosphère de ferblanterie de la science-fiction de son temps, Asimov ne pouvait en rester au niveau des récits de conquêtes armées avec de banals enjeux militaires. En conséquence, il déplace les enjeux narratifs au niveau des relations mentales entre individus, du "mentalisme", de l'influence télépathique, des conditionnements inconscients vécus par les personnages à leur insu.

L'avantage de ce choix, c'est que les chasseurs et les gibiers peuvent instantanément être convertis l'un dans l'autre. Il suffit que tel personnage croie - ou fasse croire - qu'il est conditionné, soit par le Mulet, soit par les "mentalistes" de la Seconde Fondation, pour que la place qu'il occupe dans l'intrigue change complètement. Aussi le récit recourt-il souvent à des soupçons emboîtés les uns dans les autres, à des conditionnements mentaux - réels ou supposés - qui occasionnent des volte-face, des coups de théâtre avec lesquels l'auteur amuse le lecteur. Chacun soupçonnant tel ou tel d'être ou non de son bord, de la Seconde Fondation, etc., l'atmosphère tourne un peu à la paranoïa, et il n'est pas sans intérêt de souligner que l'année où fut écrit ce roman tombe en plein dans lemaccarthysme, forme de paranoïa politique s'il en est: l'ennemi est invisible, peut se dissimuler sous n'importe quelle apparence, et seule l'inspection de son mental permettrait de le repérer.

A ce déplacement des enjeux vers la sphère mentale, qui permet à Asimov de donner un caractère assez soft aux affrontements (pas de Guerre des Etoiles au laser à l'horizon), l'auteur ajoute de petits jeux de piste à énigmes divertissantes, par exemple les messages mystérieux que se transmettent les personnages, et censés révéler l'emplacement de la Seconde Fondation. Un peu puéril, pas toujours cohérent, mais cela soutient l'intérêt.

Reste la question de la dualité des Fondations. Si elle s'apparente à une duplication des données dans un but de sauvegarde en cas de coup dur, il n'en reste pas moins que les deux Fondations se révèlent divergentes, voire rivales, et que celle des deux qui l'emporte a un caractère doublement élitiste: d'une part elle est fondée sur le mental et les pouvoirs mentaux, d'autre part elle est représentée par un petit nombre d'individus. La Seconde Fondation se dissimule derrière tout un théâtre de vraies et fausses pistes, d'impasses et de dévoilements, qui font les bons romans.

On se laisse porter avec jubilation, jusqu'à la révélation finale. Succulent.
khorsabad
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le 27 nov. 2010

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