Seeland
7.6
Seeland

livre de Robert Walser (1920)

Je ne vois pas bien comment il est possible de ne pas aimer Robert Walser. Je peux à la limite comprendre qu'on soit dérouté par son style, qui ne brille sans doute pas par sa rigueur, plutôt au contraire, beaucoup de son charme vient de ses libres errances. Mais en ce qui concerne le sentiment, il est au delà de toute critique. Il n'y a que les cyniques les plus endurcis qui ne seront pas sensibles à la simple innocence bienheureuse de Walser.

Seeland en est la mise en forme la plus directe. Il s'agit d'un ensemble de pièces sur la ballade, l'errance, l'exploration aléatoire des recoins merveilleux qui se cachent au coin de la rue. Lorsqu'il fait le récit d'un voyage, Walser ne va pas bien loin: c'est dans la campagne proche ou dans son quartier, là où il est possible d'aller à pieds lorsqu'on se lève le matin et qu'on se sent l'envie de voir du paysage. C'est un éloge des plaisirs simples, ceux de la nature et de la simple compagnie des hommes, de ces joies qui sont à portée de main, et lorsqu'il peint le portrait de la vie de son père (qui apparaissait déjà peu ou prou sous la forme de Johannes Benjamenta) ou de son frère (qui apparaitra plus tard dans le Brigand) c'est sous la guise d'un voyage à la découverte du sens de la vie et de la part de bonheur qui nous est échue.

La Promenade a souvent été éditée seule, et pour de bonnes raisons, c'est la partie la plus solide et la plus jouissive de ce recueil. Il s'agit d'un exercice de style walserien parfait, plein d'un enthousiasme et d'un humour irrésistible, cela n'empêchant pas Walser de saupoudrer le récit de quelques réflexions sur le statut de marginal qui est le sien et qu'il approfondira dans les peintures erratiques du Brigand.

Les autres pièces sont par contre parfois un peu redondantes. Si l'on ne peut qu'être touché par l'honnête et pudique émotion du Portrait du père, Récit de voyage et D'après Nature sont des récits de balades champêtres trop littérales que pour être vraiment transcendantes. Elles sont surtout des illustrations de l'émotion de Walser devant le spectacle de la nature et juste ça. Sans aller jusqu'à dire qu'elles tombent dans la mièvrerie, elles n'en sont souvent pas loin (enfin, encore plus que le reste de son œuvre...) et si le style est toujours aussi léger (Mozart et Pouchkine sont des références explicites) on lit parfois avec juste un intérêt poli.

Au final, Seeland frappe surtout comme une des œuvres les plus brutalement honnêtes de Walser. On a vraiment l'impression qu'il y met son cœur sans artifice, avec une pudeur qui force le respect. Même si son romantisme champêtre peut vous passer pardessus la tête, le portrait authentique qu'il fait des passions d'un homme simple est tout simplement irrésistible.
Listening_Wind
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le 28 janv. 2015

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