Un vaisseau spatial a quitté une Terre dévastée pour coloniser une autre planète. Pour survivre et vaincre les races indigènes, l’équipage développe une technologie qui leur permet de transférer leur esprit dans de nouveaux corps, ainsi que des mutations qui les dotent de grands pouvoirs. Cette forme d’immortalité et surtout le contrôle de la technologie qui permet ce transfert dans un nouveau corps permettent à ces premiers colons, ou Premiers, de régner sur la planète progressivement peuplée par leurs descendants. Quelques-uns de ces Premiers s’attribuent un caractère divin, forment un panthéon inspiré de la mythologie hindou, instaurent une religion unique et mettent en place un clergé entièrement dévoué à leur culte. Ils refusent de partager leurs connaissances et détruisent systématiquement toute forme d’avancée technologique ou de découverte scientifique. Sam, un des Premiers, a toujours rejeté cette tentation de devenir une divinité et soutient que le progrès devrait être accordé aux masses. Pour renverser le pouvoir des Dieux, il va s’inspirer du bouddhisme, espérant que cette nouvelle religion pourra faire trembler l’ordre établi et ouvrir la voie vers la révolte.
La principale caractéristique de Seigneur de Lumière est la volonté affichée de l’auteur de passer alternativement d’un univers SF à un monde de Fantasy et inversement. Ainsi, la psychosonde devient l’examen de l’Ame. Le Char de Tonnerre du Dieu de la Mort est la navette de combat de l’ingénieur le plus doué de l’équipage. La Maison du Karma et ses prêtres abritent la culture des nouveaux corps disponibles et l’appareillage nécessaire au transfert de l’esprit. Les habitants originaux de la planète, faits d’ondes électromagnétiques désincarnées, sont des démons invisibles. La Cité Céleste est protégée par un Dôme invisible qui forme un bouclier et qui permet de contrôler le climat. En déguisant systématiquement les aspects purement SF avec des habits de Fantasy de cette manière, Zelazny donne un parfum plutôt inhabituel au récit, même si celui-ci en perd un peu en clarté.
La clarté n’est d’ailleurs pas du tout le souci premier de l’auteur. De très nombreux éléments sont simplement passés sous silence. Nous ne saurons ainsi rien du passé des (nombreux) personnages, secondaires ou principaux. Nous ne saurons pas grand chose des guerres de colonisation de la planète. Pas d’indices non plus sur ce qui est arrivé à la Terre, et aucun concernant cette planète où se déroule l’action du roman. Quant aux personnages dont nous allons suivre les aventures, il n’est pas rare que les détails de leur destin restent inconnus également. Le dénouement du récit est à l’image de ce qui précède : personne ne sait clairement ce qui est finalement arrivé aux acteurs principaux.
Zelazny s’amuse également à transposer les grands mythes de l’hindouisme dans l’action de son roman. De la même manière, il explore les relations possibles entre l’hindouisme et le bouddhisme. Pour ce faire, le texte est constellé de passages mystiques, voire d’extraits de différents livres sacrés. Si cela donne une dimension poétique au récit, on ne peut pas dire que cela aide à clarifier l’action, ni à lui imprimer un rythme trépidant.
Tous ces éléments, de l’aveu même de l’auteur, visent à créer un sentiment de mystère autour des personnages et de l’univers de Seigneur de Lumière. L’objectif est clairement atteint, mais peut-être au prix d’une grande frustration. Cette histoire aurait pu être un grand récit de SF, s’il avait été plus construit, plus développé, plus épuré, moins mystique et moins poétique.
Prix Hugo 1968, on devine dans Seigneur de Lumière un excellent roman de SF qui se cache derrière une brume de poésie mystique. L’appréciation du lecteur dépendra fortement de son goût pour les textes sacrés, les mythes religieux, les récits fantastiques. Et de sa capacité à accepter les zones d’ombre qui persisteront dans et autour du récit après avoir refermé le livre.