– Deux en Un ?
– Absolument.
– Vous voulez dire, Deux pour le prix d’Un ?
– Pas exactement, dans ce livre, il y a deux livres ! Celui de l’astrophysicienne Sara Seager, et celui de la mère de famille – et veuve – Sara Seager…
L’astrophysicienne, à l’affut des exoplanètes, s’interroge : pourquoi serait-on "Seuls dans l’univers" ?
La mère de famille qui revient sur Terre quand Mike, le père de ses enfants, meurt en lui laissant trois pages d’instructions et deux enfants, constate qu’elle est « Seule dans l’univers ».
Voilà deux livres qui s’entremêlent comme s’entremêlent vie privée et vie professionnelle, surtout quand cette dernière est une passion.
Sara Seager est née à Toronto, au Canada, en 1971. Elle obtient son diplôme de Bachelor of Science en mathématiques et physique à l'université de Toronto en 1994, puis décroche son Doctorat en astronomie de l'université Harvard en 1999. Elle rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en janvier 2007 en tant que professeure associée en physique et en planétologie, obtient un poste permanent en juillet 2007, puis devient professeure titulaire en juillet 2010, année où elle obtient la nationalité américaine.
En 2013, elle se voit attribuée une bourse « au génie » de la Fondation MacArthur, d’un montant de 650 000 $ sur cinq ans (soit l’équivalent d’un petit coup de pouce d’environ 10 800 € par mois pendant 5 ans !...)
LIVRE I :
Surnommée « une Indiana Jones astronomique » par l’équipe du PlanetQuest de la NASA, "The astronomical Indiana Jones" n’en demeure pas moins une chercheuse acharnée, sa thèse de doctorat a pour sujet des modèles théoriques d'atmosphères des exoplanètes. En cette fin de XXe siècle on n’a encore relevé l’existence que d’une trentaine de ces planètes lointaines, et encore, sans les voir, seulement en supposant leur présence par l’effet gravitationnel induit sur leur "soleil" – grâce à la méthode des vitesses radiales. Et, en 1999 Sara arrive à la NASA qui place la barre très haut : non seulement l’agence voulait trouver une exoplanète, rocheuse, de taille raisonnable, mais gravitant autour d’une étoile semblable au Soleil, dans la zone habitable, ni trop chaude ni trop froide pour permettre la vie, mais « La NASA voulait également des preuves de l’existence de cette vie. »
Contrairement aux "Grandes Oreilles" (les radiotélescopes), Sara ne cherche pas des preuves de vies intelligentes mais les preuves organiques que laisse la vie dans l’atmosphère d’une planète, des biosignatures.
Alors, elle a l’idée qui, aujourd’hui, peut paraître simpliste et évidente, mais qui, à l’époque, ne l’était pas : puisqu’il n’est pas possible de voir la lumière émise par la planète car trop faible et trop proche de son étoile aveuglante (n’objectez pas qu’à l’œil nu, depuis la Terre, on voit très bien Mars ou Jupiter, la nuit… on ne les verraient pas si on était ébloui par le Soleil), et bien attendons une éclipse ! Ce qu’en langage d’astronome on nomme un transit (ne riez pas !), rien de plus visible qu’un point noir sur un disque de lumière !... Les planètes en transit n’ont pas tardé à être observées. Cerise sur le gâteau, en analysant les rayons lumineux émis par l’étoile et traversant l’atmosphère de la planète (s’il y en a une) on obtient des renseignements de la plus haute importance sur celle-ci : présence d’eau, traces éventuelles de vie…
Est-il nécessaire de rappeler qu’aujourd’hui le cap des 5000 exoplanètes confirmées est dépassé ?
https://www.sciencesetavenir.fr/espace/vie-extraterrestre/plus-de-5000-exoplanetes-decouvertes-et-forcement-quelque-part-une-forme-de-vie_162352
Alors qu’elle est à deux doigts de donner sa démission du MIT, parce qu’elle estime ne plus avoir le temps de faire ce qu’elle a à faire – et de s’occuper de ses garçons – et que le projet « Starshade » sur lequel elle travaillait dans l’équipe de Webster Cash avait été refusé par la NASA, voilà que celle-ci lui propose de faire partie d’une équipe de conception du système d’occultation externe des étoiles de type « Starshade »… et d’en prendre la tête (au grand dam de Webster Cash). Ce qu’elle accepte. Et ne croyez pas qu’au XXI° siècle, aux États-Unis, dans un domaine aussi innovant que les sciences et la haute technologie, il soit si facile de s’affirmer quand on est une femme, même couverte de diplômes et de réussites professionnelles – ou peut-être à cause de cela.
Pour mémoire, rappelons que le concept repose sur l'association d'un télescope spatial avec un grand système d'occultation (le fameux Starshade) placé dans l'espace à grande distance de celui-ci (plusieurs dizaines de milliers de kilomètres) et conçu pour bloquer la lumière de l'étoile afin d'observer ses exoplanètes sans être gêné par la luminosité de l’astre (on n’arrête pas le progrès !). Inutile de préciser que le défi consiste à le faire orbiter en formation avec le télescope qui l’accompagne, alignés avec une précision mathématique, l’occulteur se trouvant entre le télescope et l’étoile cible… et, comme si ça ne suffisait pas, ajoutons le déplacement du couple pour étudier d’autres systèmes stellaires ! « Le Starshade allait devoir exécuter l’une des chorégraphies les plus complexes de l’histoire de l’humanité. »
Une bien belle aventure !...
La conclusion pourrait être cette enquête de la Chambre des représentants en décembre 2013, à laquelle doit répondre Sara et deux autres scientifiques :
« Ce dont nous avions besoin, c’était qu’on continue à nous apporter du soutien. Que chaque enfant souhaitant devenir un scientifique ait l’opportunité de voir ses aspirations se réaliser. […] Que le Starshade soit reconnu d’utilité publique.
Ralph Hall m’a interrompue :
- Pensez-vous qu’il y ait de la vie ailleurs ?
- Faites vous-même le calcul, ai-je répondu.
Hall m’a fait savoir que, justement, il en était incapable. Que c’était là tout le problème.
Il nous a donc reposé la question :
- Pensez-vous qu’il y ait de la vie ailleurs ?
- Oui, a répondu Mary.
- Oui, a répondu Steven.
- Oui, ai-je renchéri. »
LIVRE II :
Le tact, la délicatesse, la discrétion… Sara ne connait pas, on veut nous faire croire qu’il s’agit « d’une franchise déconcertante », en fait c’est tout simplement un manque de savoir vivre, une ignorance totale des codes… "Mon mari est mort, foutez-moi la paix !" … « J’ignorais comment me comporter ». « J’essayais de garder mes distances, de me montrer plus repoussante que je ne l’étais déjà. » Pas commode à porter ce handicap, quand bien-même serait-on docteur en mathématiques…
Un jour, bien habillée pour un évènement professionnel elle avait demandé à son mari :
« – J’ai l’air normal ?
Il avait souri.
– Oui, jusqu’à ce que tu ouvres la bouche. »
Bon, d’accord, "Indiana Jones" vit tête baissée (levée ?) dans les étoiles… et leurs planètes… mais quand même, elle a voulu deux enfants – elle en aurait même voulu trois – heureusement, son mari a pris en charge presque toutes les charges domestiques inhérentes à la vie de famille : « Mike a accepté, dans les faits si ce n’est par obligation matrimoniale, de s’occuper de tout ce qui est ordinaire afin que je puisse me consacrer à l’extraordinaire. »
Franchement, j’ignore totalement si la description du lent, mais inexorable trépas de Mike, possède le panache nécessaire pour enrichir « Les plus " belles" agonies en littérature », mais rien ne nous y est épargné, depuis les erreurs de diagnostic, aux recherches poussées de la scientifique épouse qui délaisse ses exoplanètes pour les cancers entériques, depuis le déni farouche jusqu’à l’hyperactivité ante-mortem... Il est vrai qu’il ne s’agit pas, ici, de littérature.
Alors, pour subsister, Sara s’entoure d’une multitude d’aides, il y a celles qui accompagnent les garçons à l’école, celles qui les gardent lors des déplacements pros, celles qui font le ménage, la cuisine… Et puis il y a le Club des Veuves qui, comme son nom l’indique regroupe une demi-douzaine de veuves qui pleurent de concert, qui se conseillent mutuellement et qui se soutiennent à tour de rôle. Il y a aussi la "Chasse à l’homme"… qui se solde, systématiquement par un échec, car elles ne sont pas prêtes, ces dames, le fantôme du défunt est encore trop présent ! Et quand on cherche, on ne trouve pas, c’est bien connu. Et attention à la règle qui veut qu’une veuve trouve « chaussure à son pied » dans le courant de sa deuxième année de veuvage… avant, c’est trop tôt, au-delà, c’est fichu !
Et voilà ! Qu’à quelques jours du deuxième anniversaire de la mort de Mike, Sara est invitée à donner une conférence à l’occasion de l’assemblée générale annuelle de la Société Royale d’astronomie du Canada que normalement elle aurait dû décliner – juste avant de prendre de nouvelles fonctions importantes à la NASA – mais ses toutes premières expériences astronomiques enfantines, elle les devait à la SRAC. Et c’est là qu’elle l’a vu pour la première fois : « Il était bronzé, comme s’il avait passé sa vie au soleil, et portait une chemise blanche qui lui donnait un teint encore plus rayonnant. Waouh, ai-je pensé. Qui est-ce ? Je devais faire sa connaissance. […] Je n’avais jamais été aussi attirée par un homme au premier regard. » Vous me croirez si vous voulez, mais ce beau gosse éblouissant (Charles Darrow) est tout simplement le Président de la branche de la Société Royale d’astronomie du Canada que Sara avait fréquenté plus jeune !...
Alors ? Alors… 880 km les séparent, c’est peu, et c’est beaucoup… Ainsi nait une amitié à longue distance faite de mails, de Skype, de SMS, de visites rapides à Toronto, et faite de mots que deux handicapés de la communication n’arrivent pas à prononcer : « Nous sommes faits l’un pour l’autre. »
Mais gageons que ça va s’arranger !
Alors, bien sûr, les deux livres n’en font qu’un, ils se mêlent et s’entremêlent comme l’est la vie… Bonne chance Sara !
Et c’est à la suite d’un portrait de la maintenant célèbre Sara Seager, paru dans le New York Times Magazine en 2016, que la femme d’un collègue (spécialiste de l’autisme) diagnostique des signes de troubles du spectre autistique chez Sara…
Une révélation qui expliquait pourquoi elle se sentait excentrique et bizarre, son enfance solitaire, sa passion pour la logique, ses difficultés à communiquer… Son acharnement à répondre à la question de sa vie : Y a-t-il une vie ailleurs dans l’Univers ? Mais elle a une meilleure question : « Qu’est-ce que notre recherche de la vie dit sur nous ? Elle dit que nous sommes curieux. Elle dit que nous sommes optimistes. […] Si nous voulons trouver une autre Terre, cela signifie que nous voulons trouver un autre nous. Que nous pensons valoir la peine d’être connus. […] Et, tant que nous continuons à nous chercher les uns les autres, nous ne serons jamais seuls. »