Quel est l’intérêt de voyager si nos démons nous poursuivent ? S’en aller, fuir ses problèmes, en espérant trouver un refuge exotique, un *Texte en italique*El Dorado pour sa conscience. C’est souvent dans cet espoir qu’on s’expatrie. Cependant, nous autres, êtres volatiles et romantiques, finissons généralement par conserver nos habitudes, trainer nos angoisses et notre mode de vie rigides à travers le monde. Mais que se passe-t-il quand nous lâchons prise, entrainés dans le flot la vie locale et que, légers et insouciants comme la plume, nous nous laissons guider par les évènements avec courage ? Il suffit de lire *Shantaram* de Gergory David Roberts pour s’en faire une idée.  

Ce roman d’aventure autobiographique conte l’histoire de Lin, un ancien toxicomane qui s’évade de prison en Australie et se réfugie en Inde, à Bombay. Entre Bidonville, Mafia, Jihad et petits villages indiens, Le personnage emmène son lecteur à travers les strates sociales de l’Etat du Maharashtra et nous introduit dans son esprit torturé. Ce récit épique est à la fois invraisemblable et extrêmement réaliste. On y plonge dans les entrailles de la société indienne, dans tout ce qu’elle a de plus sale et sublime, pour nous trouver imbriqués dans les rapports géopolitiques de la ville et du moyen Orient. Le récit nous donne la sensation de parcourir un univers réel dans ses moindres recoins, pourtant, la bravoure du héros et ses périples donnent au roman l’aspect d’un conte féérique. L’exotisme social est au rendez-vous. Plutôt que les hôtels touristiques qui jonchent la côte, Lin choisit de vivre dans un immense bidonville et en devient le médecin attitré. Entre les blessures peu banales, les latrines purulentes, l’épidémie de choléra et les séjours au camp de Lépreux, l’auteur nous met face à des images qu’on refuse habituellement de voir, même en voyage. Le stoïcisme dont fait preuve le narrateur est admirable, presque inquiétant. A lire ce roman, il ne paraît pas si désagréable de tenter de survivre dans des geôles autrement plus insalubres que n’importe laquelle de nos prisons cinq étoiles, ni surprenant de se faire ruer de coups des journées durant sans broncher. C’est par leur rudesse que les épreuves affrontées par le personnage nous dépaysent. On en arrive à trouver son propre confort indécent face à l’extrême précarité de vie que le narrateur dépeint et subit avec détachement.

L’assurance avec laquelle le personnage se jette dans l’inconnu est admirable. On pourrait presque en tirer une définition du voyage. Il est dit dans le livre qu’en Inde, il faut savoir accepter et se laisser porter par les évènements, il ne faut pas les contrarier. C’est bien ce que fait Lin qui s’immerge totalement dans le milieu qui l’entoure. L’étranger parvient ainsi à se faire accepter dans cette nouvelle société. Lin apprend l’hindi et le marathi (langue locale) et on lui donne même un nouveau nom : *Shantaram*, qui signifie « homme de paix divine ». Ainsi, le protagoniste s’intègre au point d’acquérir une nouvelle identité, de devenir Indien à part entière. L’enjeu pour Lin est de commencer une nouvelle vie, loin de tout ce qu’il a laissé derrière lui. Pourtant, les remords et les fantômes du passé continuent à le hanter. *Shantaram* est le récit d’un homme en quête de rédemption. On n’a pourtant pas l’impression que le personnage cherche à construire une vie stable car les incessantes prises de risque du personnage font penser à l’attitude d’un homme déjà perdu.

Certes, ce livre n’est pas exempt de métaphores stéréotypées « Je voyais son visage dans le miroir de mes souvenirs. » et regorge d’aphorismes parfois convenus : « La chance arrive toujours quand le destin en a assez d'attendre ». Cependant, l’abondance d’images fait la force du récit. Chaque évènement se présente comme une poésie et s’élève à la réflexion inductive. l’auteur parvient efficacement à partager son ressenti : « L'héroïne est un caisson de privation sensorielle pour l'âme. Quand on flotte sur la mer Morte de la came, il n'y a plus aucune sensation de douleur, de regret ou de honte, plus aucun sentiment de culpabilité, plus aucun chagrin, plus de dépression et plus de désir. Un univers de sommeil envahit et enveloppe chaque atome de l'existence. Une tranquillité et une paix non sensibles chassent la peur et la souffrance. Les pensées se balancent comme des algues dans la mer et disparaissent dans une somnolence grise, lointaine, imperceptible, et indéterminée. »

Shantaram est un récit captivant. Cet idéal romantique de voyage est une plongée dans la ville de Bombay et dans le cœur d’un homme en roue libre.

LoïsLe_Houerf
9
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le 18 sept. 2018

Critique lue 540 fois

Loïs Le Houerf

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