Shibumi fait partie des romans connus écrits par Trevanian, un des nombreux pseudonymes de l'écrivain et professeur d'université Rodney William Whitaker, décédé en 2005. L'histoire manifeste la volonté de son auteur, dont le souhait était de proposer quelque chose de différent des romans d'espionnage habituels. L'histoire ne manque pas d'originalité : le lecteur voyage dans la Chine des années trente, au Japon, pendant la seconde guerre mondiale, aux États-Unis, dans les grottes, puis enfin dans le pays basque des années 80. Le résultat, fourre-tout, est tiré par les cheveux, mais il n'en reste pas moins linéaire.
Malheureusement, outre de nombreuses incohérences qui sont disséminées un peu partout dans le livre, Shibumi devient un rendez-vous manqué, et ce pour plusieurs raisons, dont la liste est longue, sur les cinq pages qui constituent le roman. Passons les quarante pages de manuel de spéléologie, qui n'intéresseront que les passionnés les plus acharnés, probablement à l'image de Trevanian, dont on se demande s'il avait en tête l'image du lecteur ennuyé au moment de rédiger ce pénible passage. Sa présence, inintéressante, ne sert qu'à construire une fin qui n'aurait pas lieu d'être si l'intelligence du héros était maintenue du début jusqu'à la fin, comme le promettait l'introduction de l'histoire. Qui irait s'enfermer dans un trou à rats dès lors qu'il se sait poursuivi par des forces gouvernementales ? Personne, à moins de vouloir défier toute logique élémentaire.
L'arc concernant le Japon demeure le plus captivant, pour l'exploration du jeu de Go, abandonnée par la suite, se cantonnant à une toile de fond, mais aussi pour la critique des États-Unis qui ne manque ni de corrosivité, ni d'exactitude. La dissolution de la culture médiévale japonaise suite à l'invasion des colons américains laisse libre cours à l'attardement nostalgique du héros sur ses souvenirs, sur des notions philosophiques telles que l'amour, la méditation, ou le mysticisme. Ces parties du récit, malgré leur antagonisme apparent avec la tentative de créer un "thriller" avec Shibumi, auraient mérité un étirement plus conséquent.
C'était sans compter la part évidente de projection de son auteur, projection qui quand elle émane d'un esprit assez moyen ne peut s'empêcher de donner des mauvais romans. Il apparaît assez rapidement que Nicholaï Hel, l'homme qui est beau, riche, intelligent, slave mais de culture japonaise, sachant parler cinq langues dès sa pré-adolescence, capable de tuer avec une pièce de monnaie pour faciliter l'écriture sans avoir besoin de justifier quoi que ce soit est une image, un archétype du mâle alpha tel que Trevanian le fantasme, renforçant le malaise autour de la construction de son récit. De là en découle des bêtises plus aberrantes les unes que les autres, dont l'apogée se concentre dans la description de scènes de sexe encore plus affligeantes que celles écrites par Michel Houellebecq. En soi, cela constitue un exploit. Mais il était néanmoins hautement dispensable.
Il faut pour conclure rappeler la cocasserie reflétée par le roman, qui se targue de donner en exemple le ressenti d'une forme du beau simple, et authentique à la fois, en succombant aux pires travers de son époque, simplement sauver par une critique parfois gratuite, mais pas toujours à l'encontre de certaines civilisations. Mais, cela, ce n'est pas à proprement parler ce qu'est véritablement le shibumi.