"La vie est dure, Danny. Le monde ne nous veut pas de mal, mais il ne nous veut pas de bien non plus. Il se fiche de ce qui nous arrive."


Je ne sais pas ce qui a décidé l'ancien fan de King en moi ces derniers temps mais toujours est-il que ça faisait une éternité que je n'avais pas relu Shining. Probablement la lecture récente d'excellentes nouvelles (récentes aussi -- lisez 1922, oui je sais Netflix en a fait un film mais lisez cette nouvelle, si, si, c'est clairement la plus effrayante et dure nouvelle du bonhomme que j'avais pu lire jusqu'ici, sentiment partagé visiblement) de l'écrivain du Maine m'a donné une sorte d'envie sous-marine de replonger plus de 20 ans après que je l'eu parcouru, dans les couloirs de l'hôtel Overlook.


Je me souviens qu'à l'époque, alors au collège, je l'avais dévoré en vacances en même temps que Carrie, lui aussi emprunté à l'un de mes tontons, un fou de batterie et de maquettes qui avait tout son matos ainsi que cds, vinyles, livres de SF aux couvertures magnifiques (qui m'ont toujours fait rêver au passage, merci Pocket, merci J'ai Lu) et chaîne hifi dans la cave de la maison de mes grands-parents paternels, non loin de Lyon.


Et j'avais eu du mal. Autant j'avais fini Carrie d'un coup (pas difficile me direz vous étant donné que le livre n'est pas non plus un gros pavé), autant déjà, Shining m'était assez laborieux. Et pourtant ce n'étaient pas mes premiers Stephen King loin de là. J'étais resté au final avec l'impression d'un livre mineur et pas mal, mais bien loin de l'oeuvre effrayante qu'on avait voulu alors nous vendre.


Et là en 2018, livre cherché en occasion dans une bonne vieille édition poche avec une couverture illustrée à l'ancienne, et trouvé d'ailleurs. Je m'y replonge du coup sans plus tarder.


"Aujourd'hui il faisait gris et dès avant midi le ciel avait commencé à cracher de la neige. La radio, qui prédisait vingt à trente centimètres de neige de plus, n'arrêtait pas d'encenser la déesse Précipitation, bénédiction des skieurs du Colorado. Assise dans sa chambre, Wendy tricotait une écharpe tout en se disant rageusement qu'elle savait exactement où les skieurs pouvaient se foutre tout cette neige."


Au fil de ma lecture je constate qu'en fait, Shining n'est pas spécifiquement un roman d'épouvante et de maison hantée (d'hôtel hanté pardon). Enfin si. Mais non. Il faut relativiser, sur les quelques 600 pages de l'édition poche : il faut attendre une bonne moitié avant qu'un basculement étrange commence véritablement à prendre forme (les satanés buis taillés qui deviennent "vivants".... Image qui pour moi ne fonctionne jamais dans le roman. Visuellement dans une BD, oui, ça serait génial. Là non. Trop d'emphase, de description, moins de rythme...). Puis encore quelques pages plus loin (p. 278 sur 572 de mon édition vieillie et jaunie qui sent bon la naphtaline de chez Chez Lu) avant que ça ne devienne alors des plus inquiétants, enfin (avec la fameuse chambre 217 -- 237 dans le film de Kubrick si j'ai bonne mémoire) !


Car King a patiemment construit la psychologie de ses personnages jusqu'ici, trop peut-être au détriment de l'inquiétante étrangeté et de la peur (il y en a.... pas assez.... ça monte trop lentement). On sent qu'il ne veut pas abandonner Jack Torrance jusqu'à la fin, il ne peut pas. Jusqu'aux derniers chapitres... presque avec un certain regret. Et c'est vrai que dans la description des caractères humains, l'écrivain est particulièrement bon et ses trois personnages, Jack, Wendy sa femme et Danny "l'enfant lumière" sont formidablement touchants et attachants.


De fait c'est tout à l'honneur de l'écrivain du Maine : Puisque si Shining n'est pas à mon sens un grand roman d'épouvante, c'est parce qu'il est avant tout d'un autre côté un bon roman sur la solitude et l'alcoolisme. Eh oui. On ne peut que constater que King en fait écrit un drame mais non de l'horreur ici. Richard Bachman son double social veillait-il dans un recoin de sa mémoire ?


Toujours est-il que ça sent bigrement le vécu tout ça.
Le vécu de jeunes parents entre Tabitha et son époux de romancier dans la description pointue d'une famille peu aisée (et l'on sait que King en a bavé à ses débuts justement) avec un enfant à élever. Le vécu d'une addiction et de son sevrage douloureux (Jack Torrance garde un tic fallacieux quand il est en manque, celui de constamment s'essuyer les lèvres de son bras.... même quand il n'a plus touché une seule goutte d'alcool depuis une dizaine de mois !). Le vécu du jeune écrivain qui a du mal à vivre de sa plume (Jack suppose que l'hôtel Overlook lui apportera le repos pour terminer une pièce en cinq actes qu'il promène dans sa tête depuis un bon moment.... Pièce qu'on découvre dans le roman en filigrane comme le reflet inversé de sa propre vie. On dirait une mise en abîme de King à travers les écrits de Jack.... jusqu'à la mention d'une première nouvelle achetée dans un journal....vécu je vous dis, vécu).


- Ne crains rien, mon enfant, dit Ullman. On peut prendre (l'ascenseur) en toute confiance.
- C'est ce qu'on m'a dit du Titanic, dit Jack, admirant le globe en cristal taillé qui ornait le plafond.


Dans le dernier tiers, le roman s'accélère et adopte enfin sa vitesse de croisière, bien décidé à en montrer de belles à ses lecteurs mais c'était avant qu'il aurait fallu adopter un rythme plus soutenu. On remarquera qu'à la fin comme à plusieurs moments, King use de facilités un peu grosses, c'est dommage. Alors bon, ce n'était que le troisième roman de King alors à l'époque et son premier vrai gros pavé (et encore, face aux oeuvres à venir, c'est presque court) donc on peut pardonner. Et le gars écrit bien. Il a toujours bien écrit dès le départ d'ailleurs.
N'empêche que le séjour dans l'hôtel Overlook s'est un peu traîné.


En dépit de ce qu'on peut en dire, surtout King lui-même qui se sentit profondément trahi, l'adaptation de Kubrick a le mérite d'aller droit à l'essentiel bien souvent. Enfin, dans le montage européen. J'ai enfin vu le montage pour le sol américain récemment pour la première fois (je savais même pas qu'il existait) : 30mn en plus... qui alourdissent magistralement le rythme mais reviennent à l'idée de psychologie plus prononcée chère à King (bon on échappe pas à certaines maladresses non plus. Ici pas de buis gênant mais un court plan bleuté (bleuté quoi !!!) avec squelettes et toiles d'araignées qui fait un peu tâche dans les tons rouge sang et ocre des couloirs de l'Overlook). Une version que je découvrai il y a peu et probablement montrée suite à l'effet Ready Player One avec son hommage façon grand huit à Shining qui en fait un peu trop. Merci Warner mais je me contenterai de la version Européenne. Version de deux heures, basique, directe, sans fioritures (on a pas le docteur qui interroge Danny --passage aussi moyen dans le roman que dans sa version filmée, ni Hallorann qui appelle de l'aéroport puis plus tard loue une voiture.....) et que beaucoup de gens connaissent.


Au fond, ça reste un bon livre mais un King mineur transcendé par son adaptation cinéma.
Pas vu le téléfilm de trois heures mais ça semble une catastrophe apparemment....

Nio_Lynes
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le 9 août 2018

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Nio_Lynes

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