Et je dois noter ce livre ?
Je ne mets des notes sur senscritique que parce qu'il est impossible de déposer une critique sans attribuer un nombre d'étoiles. Un ami m'a déjà fait remarquer que parfois je taille des films auxquels j'ai mis des bonnes notes, et au contraire j'excuse des bouses que j'ai mal noté. Mais c'est maintenant, en venant de refermer "Si c'est un homme" de Primo Levi que ce système m'apparaît dans toute son absurdité.
Noter "Si c'est un homme". Vraiment.
Que j'ai attendu longtemps avant de le lire. Il me fallait avoir l'esprit pleinement dégagé et le lire d'une traite. J'avais essayé une première fois en février, mais je me suis vite arrêté, incapable de lire pendant mes trajets RER, comme je le fais souvent.
Et ce livre, comme l'essentiel de la littérature de concentration, reste une énigme pour moi. Je ne suis toujours pas persuadé que le lire en intégralité soit indispensable : quelques morceaux choisis bien frappants suffisent.
Et que de questions ne pose-t-il pas ! Dans l'effort qu'il fait sur lui-même pour mettre en mot l'expérience des camps de la mort, Levi évite délibérément toutes les anecdotes choc et s'attache au quotidien. Il décrit le paysage intérieur, complétement dévasté, des Häflingen, et leur agacement devant ces nouveaux détenus, pour la plupart destinés à mourir au bout de 3 mois, qui persistent à poser des questions et à s'étonner, alors que la première règle est "Hier ist kein Warum". Ce faisant, Levi nous fait partager son mal-être de survivant : quand il faut faire fond sur l'indifférence à la mort des autres pour survivre, quand tout vous pousse à considérer les autres et vous-même comme des objets, comment continuer ?
Comme le dit lui-même Levi, ce n'est pas un ouvrage historique. Vous n'y trouverez pas de données brutes sur le camp, ni même de synthèse sur le mode de fonctionnement des camps. Vous verrez "simplement" les dégâts sur ces pauvres fragments d'Humanité assommés, brisés.
Lecture éprouvante, que je me suis enfin résolu à faire, pour mon malheur, mais il le fallait.