Il me semble que, un peu à la manière des contraintes morales qui ont été formulées quant à la représentation par l'image de l'Holocauste, il est indécent, obscène même, d'essayer de construire une "critique" du livre de Primo Levi, "C'est un Homme". Et pire, encore, de le "noter", de le comparer à tant d’œuvres littéraires, brillantes ou non, qui ne sont, malgré leur magnificence et le plaisir qu'elles nous donnent, que le produit de la superbe imagination humaine. Comme il est dit au dos de l'édition Pocket de "Si c'est un Homme", "Ce volume est aussi important que la Bible". Moi qui ne suis pas croyant, je dirais : plus important que la Bible. Car un récit aussi circonstancié, objectif, et pourtant "philosophiquement" pertinent, de la destruction absolue de l'humanité serait déjà un exploit littéraire (donc "critiquable", donc susceptible d'être "noté sur 10")... sauf que bien sûr, il ne s'agit ici QUE de la retranscription patiente de FAITS RÉELS. La lecture de "Si C'est un Homme" est souvent insoutenable, et de nombreuses pauses sont généralement nécessaires pour arriver à bout de ces courtes deux cent et quelques pages. La gorge est serrée, les larmes coulent parfois, souvent. Les yeux sont écarquillés d'incrédulité. Parce que, non, on en sait beaucoup moins que ce que l'on croit sur les "camps", même si l'on a vu et "La Liste de Schindler", et "Shoah", même si l'on a lu "le Choix de Sophie". Il faudrait parler bien entendu du style, magnifique, de l'écriture de Primo Levi, de son va-et-vient étourdissant entre description objective de ces fameux "faits" et prise de perspective philosophique sur le sens possible à leur donner. Mais, honnêtement, à quoi bon ? Il vaut mieux reprendre ici quelques unes des phrases, fortes, belles, importantes, du livre, comme :
"Aujourd'hui je pense que le seul fait qu'un Auchwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononcer le mot de Providence"
"Nous appartenions à un monde de morts et de larves. La dernière trace de civilisation avait disparu autour de nous et en nous. L’œuvre entreprise par les Allemands triomphants avait été portée à terme par les Allemands vaincus : ils avaient bel et bien faits de nous des bêtes."
Bien sûr, il s'agit là d'une lecture indispensable. [Ecrit en 2016]