Les livres sont le résultat des coréflexions entre l'auteur et son œuvre: Gide le comprenait et, avec ses Mémoires, c'est l'heure du compte-rendu, celle de la genèse de ses pensées, de ses dilemmes, de son déchirement vers les extrêmes.
Si le grain ne meurt est une chronique de souvenirs désordonnée. Et c'est le désordre qui est important pour comprendre un homme qui pouvait aussi bien être ascète que libertin (quoi que dans un sens léger). Le ton de la chronique est fondateur de ce livre, c'est ainsi que nous découvrons des passages brefs, longs, flous, clairs, incompréhensibles dans ce qui paraît être une boule de laine inextricable mais munie d'un sens, d'une direction.
Tout ce comprend sous la dichotomie de la lumière et de l'obscurité - aussi bien dans l'écriture que dans la vie de Gide, tiraillé entre une éducation protestante et une errance dans la débauche. Ainsi sommeil de l'enfance ("Je dormais encore ; j'étais pareil à ce qui n'est pas encore né"), illumination ("Ce fut, je crois bien, un des premiers éclairs de conscience") et contradiction ("Je suis un être de dialogue ; tout en moi se combat et se contredit") sont les enchaînements de ses Mémoires.
Le problème de l'écriture de vie est au centre des questionnements de Gide, quant au style qu'il doit user ; une solution est adoptée : celle de la luminosité froide sur les obscurs souvenirs (presque "traumatiques") de sa vie. Énigmes, clefs, arcanes et raisons ressortent d'elles-mêmes de ce bourbier qu'est l'enquête de soi.
Les passages peuvent apparaître alors pénibles à lecture, tout n'est que brouillard, ou intéressants, comme certains paragraphes sur Madeleine (dont Gide saurait tout de même camoufler certains aspects, il est sincère sans l'être, retournant tout à lui-même), sur Pierre Louÿs ou Oscar Wilde sont parmi les meilleurs et, malheureusement, peu nombreux ; et l'on croule sous l'anecdote.
Cela rend le livre riche et pauvre à la fois ; à force de vouloir asséner la critique austère du tout dire avec exactitude, on en perd la flamme même. Ainsi Gide arrive à éplucher sa vie d'une telle manière qu'elle ne nous en apparait qu'en un tas d'épluchure dans lequel on pioche la philosophie souhaitée ; le coeur n'est pas inexistant, il est juste dans l'ombre.