À l'approche de l'île, le vent se tait.
Les voiles des bateaux flétrissent. Fiers pavillons en Europe, leurs surfaces immaculées s'amenuisent à la vue des avant-gardes côtières. Ces rocs noirs, graves et intimidants, sentinelles du rivage. Ils sont les premiers habitants de l'archipel et surveillent les rares parcelles accostables.
Une enveloppe opaque embrume l'horizon, son ombre naissante déjà envahit le pont des vaisseaux. Le bois se recroqueville, le bastingage plie, les bateaux se réduisent et se compactent, inquiets à l'idée d'approcher davantage cette terre.
La mer elle, hier encore impétueuse, s'épaissit à chaque brasse. Ses vagues sont ténues et collent à la surface. Comme empêchées d'aborder le pèlerin de ce flot agité propre aux abords des îles. La houle semble ne rien charrier vers la côte.
Cette mer ressemble à une eau stagnante et mauvaise, elle ceinture toutes choses qu'elle ne peut complètement immerger.
Les sillages des bateaux s'effacent si vite ici, et disparaissent avec eux, les dernière traces visibles du voyage. La méfiance est belle et bien de mise lorsqu'on navigue en eaux troubles.
Les rumeurs ont pourtant dépassé les frontières indociles de la péninsule. L'Église n'a que trop bien entendu les alertes. Une persécution serait à l'œuvre. Les frères sont pourchassés les uns après les autres, les paysans sommés de rejeter Dieu ou bien de mourir en martyr.
Des samouraïs ont entrepris cette exécution. Ils pourfendent de leurs lames les chrétiens dévoués au service du Seigneur. Mais les plaintes ne peuvent rester sans réponse. Il est inconcevable que même de l'autre coté du monde, Dieu ait déserté ses fidèles.
Car le jeune arbre du christianisme, jadis planté dans ce pays, prit racine admirablement. Nos frères missionnaires ont dévoué leurs vies à atteindre les âmes abandonnées. Jamais une terre vierge ne fleurit aussi vite sous les sacrements.
L'origine de ce drame inouï demeure encore inconnue. Nul autre choix désormais que de faire face aux tourments. Nous répondrons sur place aux prières interdites. Le sort des chrétiens ne doit pas rester scellé dans le sang répandu au pied des assassins.
Mais l'écho d'une insoutenable apostasie nous a également bouleversé. Il s'agirait du vénérable Ferreira, maître théologien pour les pères et source d'inspiration pour les insulaires. Il est un éminent fils de l'Église, chantre de la parole de Dieu en mission, qui a passé près de 30 ans sur cette terre promise à rencontrer l'autre.
Par quel ordre malfaisant, Ferreira a-t-il pu être contraint au déshonneur ?
La foi était en lui, plus brillante et miséricordieuse que nul autre frère de Rome ou de Lisbonne.
Ses dernières lettres sont sur ce bateau, alors que notre route vers l'île prend fin.
Puissions-nous le rencontrer. Comprendre le sens de cette trahison et soulager autant que faire se peut les âmes en peine sur notre passage.
Le Japon se dévoile enfin.
Nous arrivons.