Entre magie et technologie, dans la bande d'anti-héros

D’aucuns pensent, pour des raisons encore obscures, que le genre Fantasy doit se plier aux « règles » et « coutumes » du Moyen-Age. Serait-ce pour se conformer à une logique en accord avec l’architecture et l’armement utilisé ? Sont-ces mêmes personnes qui hurlent à tue-tête qu’il ne faut pas trop de magie, alors qu’à mes yeux trop peu de magie enlève l’attrait aux récits du genre ? La fantasy est un genre vaste, ouvert à des milliers de possibilités dans la construction d’univers. Là s’exprime l’imagination humaine, tant dans l’élaboration d’une histoire passionnante que dans l’univers qui l’entoure. De multiples races, des pays aux lois et cultures nouvelles, un bestiaire fourni, une magie soit mystérieuse soit en métaphore des liens sociaux… Et bon nombre d’auteurs y ont réussi à merveille.


Six of Crows semble vouloir briser quelques codes de la fantasy classique, mais il en conserve plusieurs pour notre grand plaisir. Ainsi les fusils rouillés et les ports malfamés côtoient de puissants mages et des tribus sauvages. C’est un univers presque atypique, baigné de guerres de gang et de corruption, qui se veut donc plus sombre que la « moyenne ». Il entoure une intrigue « simple » aux premiers abords : un groupe d’aventuriers, certains en rivalité, doivent délivrer un scientifique prisonnier responsable de l’élaboration d’une dangereuse drogue destinée à contrôler les mages.


Une telle histoire constitue surtout un prétexte pour le développement des personnages. D’après la couverture, nous avons droit à une équipe de six jeunes : Kaz, Inej, Jesper, Nina, Matthias et Wylan. Il s’agit donc d’un récit entrecoupé de nombreux flash-back, où secrets et démons du passé coexistent. Nos protagonistes sont donc au début considérés comme des personnages « gris », en équilibre entre qualités et défauts, chacun motivés par ses intérêts personnels avant le bien commun.


Ce pari m’a paru réussi malgré quelques failles. Rien de tel qu’une histoire bien établie et des souffrances refoulées pour construire un bon personnage. Mais, d’une part, Wylan est beaucoup moins mis en avant que le reste du groupe, et Jesper est parfois en retrait aussi, d’autre part, un personnage m’a semblé clairement survendu par rapport aux autres. Kaz Brekker est annoncé comme un anti-héros charismatique dès la quatrième de couverture, un voleur sans scrupule, jeune chef de gang intéressé uniquement par le profit. Certes son histoire et ses motivations sont intéressantes, sauf que plus le récit avançait, plus je me demandais en quoi il était vraiment un « anti-héros ». Il réalise tout du long des actions illégales, d’accord, mais il ne tombe jamais dans l’absence de morale, or moralité et légalité ne signifient pas la même chose. Kaz est beau, charismatique, intelligent, influent, anticipe toujours les actions de ses adversaires, le récit le répète sans cesse. Où sont les défauts ? Le seul que j’ai répété est sa prétention, comme il se la joue beaucoup, et ça ne plaide pas en sa faveur. Chaque fois qu’il échoue, il retombe toujours sur ses pattes, à quelques exceptions près…


: À la fin, justement, quand Inej est kidnappée, il est désemparé et cherche à tout prix à la retrouver. La trahison de Van Eck à la fin était d’ailleurs somme toute prévisible, dès le début on flaire qu’il est malhonnête et qu’il cède trop facilement à une récompense luxuriante, et la fausse piste avec son « amour » pour son fils ne marche pas non plus.


Pas que j’ai détesté Kaz, néanmoins, les trois autres personnages du groupe, Inej, Matthias et Nina m’ont semblé bien plus attachants, ce même si Inej est elle aussi affublée de multiples qualités. Elle est rapide, discrète, agile, douée en combat, mais au moins elle se retrouve à plusieurs reprises en danger de mort (peut-être trop, même) et convainc autant qu’elle suscite l’empathie. La relation entre Matthias et Nina, quant à elle, se bâtit sur une ambiguïté constante, sur cette fine frontière entre amour et haine. Tantôt on compatit sur Matthias enfermé alors qu’il était innocent, tantôt on soutient Nina dans ses épreuves difficiles. Bien sûr que j’étais tenté de mieux être en accord avec les Grishas, mages de cet univers, au lieu de la tribu de Matthias qui les emprisonne, les rend en esclavage et les brûle. Mais l’auteure a réussi avec brio à ne pas sombrer dans le manichéisme en dépit d’un dénouement plutôt évident.


Nina découvre que Jarl Brum, chef du clan de Matthias, a survécu au naufrage du bateau. Il finit par la repérer et l’emprisonner avec l’accord tacite de Matthias. Sauf que ce dernier soutient en réalité Nina, ayant compris sa nature bienveillante, et trahit donc son clan !


Donc voilà, selon moi ce livre comporte quelques défauts, mais je ne vais pas être mauvaise langue. Ce premier tome m’a bien plu par son efficacité, par l’écriture de ses personnages, par son rythme et par son univers. C’est ce que l’on exige en fantasy, parfois davantage, mais si le rôle est rempli, nous n’allons pas nous en plaindre. Il ne me reste plus qu’à découvrir de quelle teneur se compose la suite !

Saidor
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le 16 déc. 2018

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