Comment fait-il, Damasio, pour écrire des choses aussi puissantes, aussi brutes d'émotion pure ?
Son monde est délirant et ses descriptions n'évoquent pas des choses mais des couleurs, une atmosphère : on la sent, cette asphalte oppressante, on est aveuglés par les milles lumières des phares qui communiquent, on sent le smog s'infiltrer dans la bouche, la grisaille et la noirceur omniprésentes... Un vrai jeu sur les sensations, la saturation que créent les mots, le sentiment d'oppression... Son monde est violent, brut et il ne se découvre pas, non : il s'impose.
Au-delà de cet univers, déjà très particulier, il y a le message. La critique à l'acide de la société et les superbes métaphores : les gens, seuls, dans des phares, qui transmettent des messages, comme il peuvent, dans le flot ininterrompu de lumières et de signaux qui s'échangent. Et puis les autres, qui roulent à une vitesse folle sur l'asphalte durci, sans jamais s'arrêter, 100m plus bas. Les messages se perdent, on ne sait plus ce qu'on dit, d'ailleurs, qui sait encore dire ?
Les "calligrammes" qui accompagnent le texte font parfaitement passer le message : on ne peut plus lire les mots, parce qu'il y en a trop, qu'ils sont noyés dans la masse lumineuse.
Ca ressemble à des gens perdus, seuls, avec leur langage propre, qui ne communiquent qu'avec difficulté ; au monopole de la télé, de ce qui brille, de ce qui est plus voyant que le voisin ; à un monde qui n'a aucun sens, surtout pas pour les gens qui y vivent ; à une seule note de pureté, prénommée Loupiote, qui est ballotée dans un monde trop superficiel pour elle.
C'est le style de la Horde, dur, difficile à ingérer tant il est dense, mais si on s'accroche, on est littéralement emporté, et on se retrouve avec des émotions aussi pures et vastes que celles qu'on avait ressenti alors. Sauf qu'ici, ce ne sont pas les personnages qui portent l'oeuvre, c'est le monde en entier.
(C'est une nouvelle qui est parue dans le n°38 du magazine Galaxies, pour ceux qui chercheraient)