Vous pensiez qu’il était impossible d’être cycliste et philosophe ? Guillaume Martin, cycliste professionnel de son état (par ailleurs classé 21ème en 2018 pour son deuxième Tour de France) et titulaire d’un master de philosophie, se charge de vous prouver la compatibilité de ces deux activités dans cet ouvrage pour le moins atypique.
En effet, la personnalité de Guillaume Martin, que l’on appréhende à la lecture de ce texte, est tout à fait intrigante. Alors que tant ont dû choisir entre leurs études et une carrière sportive, lui a su concilier les deux, de façon brillante, et il s’insurge contre le fait que l’on s’étonne souvent qu’un sportif puisse aussi être intelligent : un sportif n’est pas qu’un corps. En effet le corps est encore fortement déprécié face à l’esprit. C’est ce qui rend le parcours de Guillaume Martin étonnant aux yeux de beaucoup, lui qui sort des schémas classiques en étant à la fois un intellectuel et un sportif de très haut niveau. Notons qu’il tient une chronique sur le Tour de France dans Le Monde depuis l’année dernière, et que ses textes sont à la fois amusants et passionnants, décryptant le monde particulier du cyclisme à l’aide de notions philosophiques. Il est aussi l’auteur d’une pièce de théâtre qui a été jouée cette année dans le off du festival d’Avignon.
En effet, Guillaume Martin est loin d’être le dernier des idiots, et j’apprécie particulièrement sa plume joueuse, car ici, le « vélosophe » (comme il qualifie les cyclistes philosophes, à moins que ce ne soient les philosophes cyclistes) s’amuse beaucoup : là où la préparation du coureur cycliste ne laisse rien au hasard, il se permet dans cet ouvrage beaucoup de libertés qui doivent sans doute lui faire un bien fou, et il nous fait profiter en même temps de ses réflexions, tout en nous faisant découvrir, de façon ludique quoique toutefois sommaire, un certain nombre de philosophes de l’Antiquité à nos jours, de Socrate à Sartre, en passant, entre autres, par Pascal, Nietzsche, Marx ou Bergson.
Guillaume Martin se sent proche de la philosophie de Nietzsche, qui lui permet d’assumer son individualisme, ses pulsions animales et son désir de vaincre plutôt qu’adhérer à l’hypocrite conception actuelle du sport centrée sur l’altruisme et le fairplay. Il interprète aussi la volonté de puissance de Nietzsche comme une pulsion individuelle centrée sur son propre développement plutôt qu’un désir de dominer l’autre. De la même manière, le concept de surhumain n’est pas biologique ou darwiniste mais éthique, centré sur le dépassement de soi qui doit animer l’humain.
Guillaume Martin utilise également l’opposition entre l’apollinien et le dionysiaque pour décrire la tension qui anime le coureur cycliste, qui est la plupart du temps dans la maîtrise ou le contrôle mais qui doit parfois lâcher prise et tenter le coup de folie qui permettra la victoire : de la nécessité de savoir saisir le kairos.
Ce que l’on pourrait reprocher ici à Guillaume Martin, c’est de ne pas avoir tranché entre un ouvrage de réflexions philosophiques et une fiction dans laquelle différents philosophes de toutes époques participent au Tour de France. L’ouvrage est pour moi trop déstructuré, il y a de belles réflexions sur la philosophie et le sport mais j’ai été déçu par les passages fictionnels amusants, mais qui s’avèrent au final décevants, courts, superficiels, même.
Je vous conseille toutefois fortement cet ouvrage si vous appréciez à la fois le cyclisme et la philosophie. Vous ne verrez plus le Tour de France de la même manière.