Lorsqu’au début des années soixante, Naja quitte l’Algérie avec ses trois filles pour rejoindre son mari Saïd, ouvrier dans l’industrie automobile, son arrivée en France est un désenchantement. Leurs conditions de vie rendent même problématique l’élargissement de la famille au quatrième enfant à naître…
De la création pleine d’espoir des cités HLM à leur ghettoïsation progressive, c’est l’histoire de l’intégration des populations algériennes en France qui défile dans ces pages, en une cascade de désillusions toute entière contenue dans l’oxymore du titre emprunté à Rimbaud. Arrivé le premier, Saïd, le père, est loin d’avoir pu préparer pour les siens une existence aussi séduisante qu’escompté. En mère-courage et au prix d’un impossible secret qui rejaillira, leur vie durant, sur toute la famille, Naja tâche d’élever au mieux ses enfants, sans parvenir à les préserver complètement. Tandis que les filles se voient, en plus, confrontées aux limitations de la condition féminine traditionnelle, tous se retrouvent coincés dans une dualité biculturelle qui les condamne à n’être aux yeux de tous, en France comme en Algérie, que d’éternels intrus sans complète appartenance. Et pendant que leur cité HLM, symbole de confort et de modernité dans les années soixante, se vide peu à peu de ses classes moyennes pour ne bientôt plus regrouper que les déshérités incapables de partir vivre ailleurs, préjugés et déterminisme social génèrent chez les jeunes générations de bien cruelles désillusions.
Construit autour de personnages multiples que l’on perçoit volontiers représentatifs, le récit pose sans candeur ni misérabilisme les questions de l’intégration et des obstacles à l’ascension sociale. La narration résonne particulièrement des difficultés propres aux femmes, qui, entre tradition et modernité, peinent encore davantage à trouver leur place. Pourtant, s’inscrivant bien avant la violence qui enferment les cités sur elles-mêmes aujourd’hui, elle évoque une situation alors encore ouverte sur l’espoir. Ainsi, chacune des trois filles de Saïd et Naja réussit un peu plus à s’émanciper que la précédente, l’accès à l’éducation ouvre de nouvelles portes, et le roman s’achève sur une réconciliation identitaire réussie pour un des fils et pour ses propres enfants.
Relativement courte, la narration épouse le rythme « stroboscopique » d’une succession commentée de flashes photographiques. Placé en observateur extérieur, le lecteur n’y trouvera ni grande émotion, ni intensité psychologique, mais une chronique efficace et pertinente, agréable à lire et pleine de beaux passages.
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