Troisième roman que je lis de la part de Karin Slaughter, et je cerne désormais mieux son style propre, axé sur une psychologie approfondie des personnages.
La romancière américaine pose un regard différent sur le polar contemporain, lui apportant une certaine plus-value personnelle par rapport à ses divers concurrents auteurs de best-sellers.
Ainsi, Slaughter choisit plutôt des anti-héros, des outsiders en grande souffrance dans leur propre vie. Ces personnages de losers du quotidien nous changent des éternels profilers surdoués, psychopathes en puissance, et autres archétypes du polar.
Cela dit, au bout de plusieurs livres, une lassitude s'installe à force de croiser des femmes battues, violées, malmenées par l'existence : ainsi, les deux héroïnes de "Pieces of her" versent des hectolitres de larmes tout au long du bouquin. L'une se révèlera une victime absolue des hommes (père, frère, petit ami), tandis que la seconde est présentée comme une quasi-autiste, qui sera capable par ailleurs de mener des investigations étonnantes. J'ai trouvé ce grand écart difficilement crédible.
Indéniablement, Slaughter se montre très douée pour étudier la psychologie de ses personnages (voir sa peinture très juste de Nick, le pervers narcissique), au point que certains passages finissent par s'éterniser à force de descriptions et d'analyses du moindre geste, du moindre regard, du moindre silence...
Autre contradiction : la subtilité dont l'auteure fait preuve en matière de psychologie et de langage corporel semble parfois se dissiper brusquement, laissant soudain apparaître quelque énormité. Les "méchants" sont ainsi particulièrement gratinés : par exemple, Martin Queller aurait pu se contenter d'être un escroc cupide, un père violent et un homme riche méprisant les pauvres : non, cet idéologue ultralibéral se révèle en outre pédophile, par-dessus le marché!
Ce nouveau thriller de Karin Slaughter n'est donc pas facile à évaluer, à la fois subtil et profond, puis lourd et maladroit d'un chapitre à l'autre.
En tout cas l'ensemble se laisse lire plutôt agréablement grâce à une narration elliptique originale - qui nous plonge dans un réseau terroriste au milieu des années 80 - et grâce à l'écriture précise et immersive de Slaughter.
Dommage qu'un excès de pathos et d'invraisemblances vienne parfois gâcher ses efforts.