L'idée d'un roman en vers libres me rebutait sérieusement, mais le sujet m'attirait trop pour que je passe à côté. Je n'aime pas la poésie, je n'aime pas l'écriture en vers, je trouve ça d'une prétention absolue, avec le sentiment systématique que l'auteur se masturbe en se regardant écrire.
Il y a longtemps qu'un roman ne m'a pas bouleversée comme "Songe à la douceur". J'aurais même eu du mal à m'en remettre si les choix narratifs et l'écriture en vers n'apportaient pas une distance salutaire, l'impression d'avoir eu sous les yeux une pièce de théâtre mettant en scène nos vies, à moi et à tous les autres marqués au fer rouge de l'adolescence. Assez près pour avoir le ventre noué mais suffisamment loin pour garder le recul nécessaire des années ajoutées au compteur, le filtre du temps et de la maturité sur la violence et la passion de cet âge là. Je n'ai pas de propos plus justes que ceux de Clémentine pour parler de sa réécriture et de ses personnages, des destins qui se ratent, et se recroisent, des timings qui, sans être mauvais, ne sont jamais bons, de l'infini de possibilités qu'on s'invente à 15 ans et de l'infini des gouffres que la déception creuse, des blessures qui restent en filigrane et qui resteront pour toujours, de ce que 10 ans peuvent changer et en même temps ne rien changer du tout, des sursauts de cette Vie qui surviennent encore après avoir bien tapé la vingtaine, à se dire qu'on est pas destinés à suivre le chemin des autres alors qu'on a déjà les pieds dessus depuis longtemps, à se dire qu'au fond on aura 15 ans toute la vie alors qu'ils sont loin derrière. J'ai commencé à craindre la fin aux deux-tiers du roman en espérant qu'elle ne tombe pas dans la facilité d'un point final qui n'aurait rien compris, mais elle est parfaite et juste, encore.
il me semble -je crois-
que quand on recroise son adolescence,
même accidentellement,
que quand on revient brutalement
dix mille sentiments en arrière,
cette histoire verrouillée par mille cadenas,
cet imputrescible poème,
mis sous cloche saupoudré
de deux cents ans de poussière,
on peut en changer les derniers vers.
Merci Clémentine.